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17 juillet 2008

Cameroun : Chemins d’exil et écriture du « dedans » chez Mongo Beti.

Mongo_Beti171008275C’est en effet en février 1991 que Mongo Beti remet les pieds au Cameroun, pour la première fois depuis 1959. Sur place, ce « come back » est perçu comme un signe des temps par une bonne frange de l’opinion et par la masse estudiantine chez qui il provoque frénésie et enthousiasme. On peut alors constater combien sont considérables l’influence et la popularité acquise par l’écrivain auprès des Camerounais pendant son long exil, alors même que ses livres sont restés longtemps interdits dans son propre pays.

C’est que depuis toujours, l’écrivain est brouillé avec les régimes autocratiques qui, dans son pays, pressurent le petit peuple et font de la production du trépas le signe distinctif du pouvoir, en droite ligne de ce que fut l’ordre colonial. Brouillé aussi avec tous les clans qui, au « dedans » comme au « dehors », apportent leur caution à ces « pouvoirs sorciers » d’Afrique qui musellent, humilient, torturent, pendent ou fusillent leurs populations au nom de « l’unité nationale » et de la « paix » - celle des cimetières sans doute. C’est paradoxalement à cause de cet engagement en faveur d’un « dedans » où il ferait bon vivre que Mongo Beti a du s’exiler pendant si longtemps. Simplement parce que son imagination du « dedans », telle qu’il l’écrivait, ne coïncidait pas avec l’idée qu’en avait le potentat local – idole prétendant au monopole exclusif de l’affection et de l’approbation du peuple - Mongo Beti avait été déclaré « anti-patriote », dangereux renégat, et donc indésirable dans son propre pays.

Cette brouille entre l’écrivain dissident et ceux qui prétendaient, seuls, devoir parler au nom de sa terre natale va se traduire par une hostilité ouvertement affichée à l’encontre de l’exilé, dès son premier voyage au pays, en 1991. A sa descente d’avion, Mongo Beti est accueilli comme un homme dangereux, systématiquement fouillé et longuement interrogé. Viendront ensuite les interdictions de conférences et autres filatures. Mais le retour de Mongo Beti laisse surtout apparaître une autre brouille, jusque là moins médiatisée peut être : celle de l’écrivain avec les « intellectuels » organiques du pouvoir, idéologues de « l’Etat théologien », véritables charlatans de l’intelligence dont la plume, généralement infertile dans la production des savoirs,  ne cesse de cracher de l’encre lorsqu’il s’agit de composer des hymnes à la gloire du potentat à qui ils doivent d’avoir pu sortir du néant.

Moudjahidin d’une « authenticité africaine » qui voudrait qu’il ne reste aux contradicteurs de « la vérité qui vient d’en haut » qu’à  choisir entre la tombe, le cachot ou l’exil, ces scribes de cour vont partir en croisade contre l’écrivain insoumis, « illustre ingrat », prétendent-ils. Ces mercenaires ne font l’économie d’aucune arme non conventionnelle : bouches imprécatoires, bave diffamatoire et plumes calomnieuses sont fortement mises à contribution.
 
Mongo Beti tient pourtant le coup. Et en 1994, quand parait L’Histoire du fou, l’ancien exilé s’est déjà réinstallé définitivement au Cameroun. Dans ce roman comme dans les deux derniers qui vont suivre, l’écriture de Mongo Beti se renouvelle considérablement : la langue s’affranchit de maintes convenances, le mode de narration linéaire qui avait caractérisé ses romans jusque là disparaît, l’intrigue se complexifie et s’enchevêtre, la causalité devient plus incertaine.

Dans Trop de soleil tue l’amour par exemple, on a l’impression d’être dans un monde où domine l’inattendu et même le gratuit, tout étant possible à tout moment et rien n’étant certain. On a également l’impression que dans ce roman (comme du reste dans Branle-bas en noir et blanc) le fil de l’intrigue est intimement lié aux menus faits de la vie quotidienne des personnages - là même où ils semblent être seuls avec leur propre réalité – elle-même caractérisée ici par l’incertitude, voir par l’absurde. L’engagement militant de l’auteur semble alors relégué au second plan.

Mais il y a lieu de penser que cette nouvelle approche narrative, loin de négliger le militantisme, vise plutôt à montrer comment la dérive politique des Etats africains (avec leur cortège d’autoritarisme, de misère, de corruption, d’impunité et de criminalisation de l’Etat)  laisse des blessures jusque dans le rapport que les gens entretiennent désormais avec eux-mêmes et gâche ainsi leur existence.

Cette nouvelle modalité narrative pourrait en effet s’expliquer par le fait que Mongo Beti, une fois de retour au Cameroun s’est trouvé face à « une réalité […] plus fragmentaire » , tellement complexe et hallucinante qu’il lui a peut être semblé difficile de dire les pulsions d’un tel corps social et de restituer « cette pluralité chaotique » autrement que par ce qui la caractérise le plus: la succession et l’enchevêtrement inextricable de faits dont la cohérence n’est pas toujours apparente, l’invraisemblance et l’absurde qui ne sont jamais loin, l’incertitude et l’instabilité des situations… L’illustration la plus expressive de cette incohérence et de cette imprévisibilité qui frise l’absurde est peut-être la vie du couple Zam et Bébète, dans Trop de soleil tue l’amour, qui se chamaillent  quotidiennement pour un rien et se réconcilient quelques minutes plus tard ou le lendemain, pour que le scénario se répète le surlendemain, à moins que Bébète ne disparaisse sans qu’on sache pourquoi, ni comment.

Zam et Bébète, sans être chacun l’antithèse de l’autre, n’ont d’ailleurs pratiquement aucun trait commun. Mis à part leur amour, ni leurs âges respectifs ni leurs habitudes et leurs goûts ne semblent les rapprocher ; leurs cultures intellectuelles encore moins.

L’action de Trop de soleil tue l’amour – que l’auteur dit avoir initialement voulu intituler « Les exilés sont de retour » - se déroule en 1996, dans un pays et une ville d’Afrique tropicale que l’auteur ne désigne pas nommément. Mais sont-ce vraiment là des secrets pour qui sait l’objet d’écriture privilégié de Mongo Beti ? On sait qu’il s’agit d’un pays africain « constamment en proie aux convulsions sociales, ethniques et politiques […] où le chef de l’Etat peut s’octroyer six grandes semaines de villégiature à l’étranger » , où la guerre de libération « fut un fiasco tragique, émaillé…de trahisons retentissantes ».

Un pays où parce que « le peuple a été trop longtemps tenu à l’écart des lumières du droit, le vice [est devenu] la norme, le tortueux la règle, l’arbitraire la vertu ». Et que font la police et la magistrature dans tout cela ? Elles sont devenues « aussi corrompues et perverties l’une que l’autre, plus criminelles que les criminels qu’elles [sont] chargées de pourchasser et de punir ». Dans ce pays où le pouvoir peut aussi administrer de « fameuses fessées » aux leaders de l’opposition, on va en campagne électorale avec des camions de victuailles - « pièces de bœuf, caisses de vin rouge, casiers de bière, cartons de poisson » - pour seul programme politique !

Quant à la ville qui est le théâtre des évènements rapportés, on sait que c’est une capitale de plus d’un million d’habitants où, dans certains quartiers, l’éclairage public peut s’allumer, mais s’éteindre la nuit venue. On y connaît de fréquentes coupures d’eau dont une au moins, « totale et universelle », priva la ville d’eau pendant un mois. Et les déjections humaines de s’accumuler et de mijoter « trente jours durant dans les cuves des toilettes des résidences bourgeoises ». Le comble ! Et des résidences bourgeoises, Dieu sait combien il en pousse dans cette ville où, pourtant, « les pyramides d’ordures » et les « déchets comme autant de pétales, [couvrent] les chaussées et les entrées des immeubles ». « Ici, toutes les formes de la trahison, félonie, bassesse, délation, déloyauté, fourberie, double jeu, adultère, et j’en oublie, se côtoient et se rencontrent à chaque pas et bien plus souvent que les lépreux qui peuplent nos trottoirs. »

Toujours dans cette ville, un savant, le Père Maurice Mzilikasi – qui n’est pas sans rappeler Engelbert Mveng – a été affreusement assassiné et son corps mutilé. Mais comme toujours, dans les cas pareils, l’enquête policière n’aboutira jamais. Et pour cause, il se murmure que la « dictature » en place y serait pour quelque chose. «La femme  du président », elle aussi, meure mystérieusement.  Et ce sont toutes ces misères, ce mal (omniprésent et apparemment gratuit), cette absurdité et cet envers des choses qui gâchent la vie dans cette ville, « site de collines innombrables, flanquées d’autant de ravines, sans doute unique au monde ».

Mongo Beti fait aussi remarquer que dans ce pays – qui manifestement est le notre :
Notre vrai colère, s’il en advient une, n’est pas dirigée contre l’oppresseur étranger, la multinationale qui ronge notre peuple, le dictateur, homme sans classe ni envergure, qui brade notre patrimoine naturel, la caste vénale et corrompue de nos dirigeants qui ont fait un loisir banal du détournement de fonds publics et de l’évasion des capitaux, mais toujours contre l’ethnie rivale, comme au Moyen Age des autres continents. C’est sur nous qu’on se penche pour se faire une image des époques barbares de l’histoire de l’humanité.

En fin de compte, toutes les velléités visant à une véritable émancipation se noient dans « le fleuve impavide des résignations mesquines et des turpitudes furtives ». Et l’écrivain de se demander si nous pouvons avoir un « avenir collectif » dans ce pays. Et même : « peut-on aimer ce pays, théâtre probable des génocides de demain, prochain Rwanda sans doute ? Si on nous donnait les moyens d’aller ailleurs, qui resterait ? A voir avec quelle patience résignée elle assiège quotidiennement  les ambassades  et consulats étrangers, notre jeunesse ne semble avoir qu’une devise : partir. » A suivre

© Correspondance particulière de : Yves Mintoogue

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