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17 juillet 2008

Afrique- Economie : Thierry Amougou «la crise financière sera moins profonde en Afrique qu’en Occident »

Thierry_Amougou181008275La  crise financière actuelle est, dit-on, due aux  « subprimes», nom qui désigne des crédits aventurés, généralement immobiliers, faits par les banques américaines à des particuliers  peu solvables et donc pauvres. Quand on regarde de près les analyses faites par des économistes, tout se passe comme si la crise financière actuelle n’est que la préoccupation des pays industrialisés et des pays émergents. Et, pourtant rien ne semble indiquer que les pays africains seront à l’abri des effets dévastateurs de cette crise que certains n’hésitent pas à qualifier de crise la plus grave après celle des années 30. Pour mieux comprendre son impact sur l’Afrique Noire, Camer.be est allé à la rencontre de Thierry AMOUGOU, membre du CODE, Macro économiste, maître de conférence à l’Université catholique de Louvain-La-Neuve en Belgique.

Bonjour Thierry AMOUGOU, au moment où la crise financière fait parler d’elle. Pouvez vous à l’intention de nos lecteurs nous fournir des explications sur cette crise financière qui est en train de contaminer plusieurs pays de la planète ?

Bonjour et merci de me permettre de dialoguer avec les compatriotes et d’autres Africains sur cette crise financière. Vous avez complètement raison dans votre introduction de parler des suprimes car c’est avec eux que tout commence. Je vais essayer d’être méthodique et simple en parlant de cette crise en trois parties : les causes, les raisons de l’enchaînement mondial, les mesures prises et les leçons que l’on peut en tirer pour le modèle de développement dominant en Afrique Noire.

-Les causes
Tout a commencé avec les subprimes, ces crédits immobiliers à taux variables consentis abondamment par les banques américaines aux ménages sans tenir compte de leurs capacités de remboursement. Il y a déjà à ce niveau un défaut de monitoring financier (suivi) qui permet aux banques d’évaluer la capacité de remboursement de celui qui sollicite un crédit. Il y a ensuite eu une hausse des taux d’intérêts qui, les crédits étant à taux variables, a gonflé le montant que les ménages américains devaient rendre à leurs banques pour rembourser leurs crédits. En conséquence, les ménages ont connu le gonflement de leurs dettes sans augmentation conséquente de leurs revenus du travail (salaires) et de leurs revenus du capital (dividendes des actions ou d’autres investissements). Leurs maisons ont donc été saisies par les banques et vendues avec une grande décote financière, non seulement parce que l’offre de maisons était largement supérieure à sa demande, mais aussi parce que les banques avaient un besoin urgent de refaire le trou que les crédits consentis avaient fait dans leurs fonds propres. Ces expulsions et ventes en cascade de maisons ont entraîné la hausse des créances douteuses dans les bilans des banques qui s’étaient en plus lancées dans des opérations de titrisation complexes (transformation des crédits immobiliers en valeurs mobilières) entre elles au sein du marché interbancaire (marché où les banques s’échangent leurs excédents et leurs déficits), et des marchés financiers : d’où la crise des subprimes qui se transforme en crise de solvabilité des banques car celles-ci se sont engagées dans des activités spéculatives très risquées mais aussi très rentables. Elles se retrouvent dans une situation où le montant de leurs engagements douteux est largement supérieur à leurs fonds propres. En conséquence ce sont des banques qui, à court et à moyen termes, ne peuvent plus faire face aux obligations de remboursement de leur clientèle.

Nous sommes actuellement à la deuxième phase de cette crise car la première phase a été une crise inflationniste provenant du fait que la perte de confiance issue de la crise des suprimes couplée à la défiance vis-à-vis du dollar suite au très grand déficit de la balance commerciale américaine, a transformé le pétrole et certaines denrées alimentaires en produits refuges sujets à la spéculation. Cette inflation s’est ensuite répandue sur les économies africaines car les coûts de production de leurs importations de produits manufacturés où le pétrole est une variable centrale, ont augmenté et creusé un peu plus leur déficit commercial. Cette inflation a été très sévère dans les pays comme le Sénégal importateur net de nombreux produits alimentaires, et moins sévère dans certains autres qui ont une autosuffisance alimentaire comme le Cameroun. D’autres causes à cette hausse des prix des denrées alimentaires existent et sont plus structurelles : hausse (consommation de la Chine et de l’Inde) et diversification (demandes pour les biocarburants) de la demandes de denrées alimentaires.

Au bout du compte, la cause profonde de cette crise financière est le manque de régulation d’une globalisation financière dont le développement exponentiel ne s’accompagne d’aucun mécanisme global de régulation.

-Les raisons de l’enchaînement mondial de la crise
Je vais commencer ici par une image qui permet de mieux comprendre ce qui se passe. Lorsque vous abattez un arbuste dans la forêt, les dégâts qu’il cause autour de lui lorsqu’il tombe sont négligeables. Mais lorsque vous abattez un énorme baobab centenaire bien enraciné et bien développé, les dégâts sont énormes et se répandent sur un rayon considérable. Cette image pour montrer que l’onde de choc que reçoit le système bancaire mondial est proportionnelle à la taille, l’importance de la banque et du système financier duquel elle est issue. Ceci dit, étant donné que les banques, comme je viens de vous le dire s’échangent des déficits et des excédents dans un marché qu’on appelle le marché interbancaire, autant celle qui tombe en faillite est importante comme Lehman Brothers fondée depuis le 18ème siècle, autant les dégâts causés dans les bilans des autres sont gigantesques.

En outre, le caractère interconnecté du système bancaire international et le poids du système financier américain entraîne que toute crise du marché interbancaire américain affecte la politique de crédit internationale par la hausse des taux débiteurs et la perte de confiance entre les banques dont certaines, comme Gordon Rock sont tombées en faillite dans la première phase de la crise. La crise commencé aux USA devient ainsi une crise systémique à l’échelle mondiale.

-Les mesures de sauvetage et leurs limites 
Il faut savoir, comme aimait le dire le feu professeur Georges Walter Ngango dans son cours d’économie que j’ai eu la chance de suivre, que la monnaie est à l’économie, ce que le sang est au corps humain. Si votre corps est vidé de votre sang, toute activité physiologique cesse et vous passez de vie à trépas. Aussi,  pour éviter l’aggravation de la crise systémique qui peut entraîner une récession économique mondiale, la Réserve fédérale américaine (FED), la Bank of England, le Trésor américain et la Banque Centrale européenne sont intervenus pour injecter des liquidités dans l’économie qui en avait grand besoin : ces Banques Centrales jouent ici leur rôle de prêteur en dernier ressort qui consiste à venir au secours des banques secondaires par injection de liquidités dans de telles situations de crise. Il faut noter que la crise est si profonde que la Banque Centrale européenne qui, généralement s’occupe uniquement de lutter contre l’inflation, est aussi intervenue à hauteur de 75 milliards d’Euros le 8 août 2007.

Les Etats occidentaux sont aussi intervenus par des prises de participation dans les banques secondaires en faillite. Cela correspond à une espèce de nationalisation dans certains cas où ces prises de participation deviennent majoritaires. Ces Etats pour le faire se sont endettés auprès d’autres Etats comme la Chine, la Russie et d’autres pays pétroliers et/ou émergents qui ont accumulé d’énormes réserves de change grâce à leurs balances commerciales excédentaires. Généralement, lorsque les pays ont d’abondantes réserves de change, ils cherchent à les placer ou à les prêter pour en fructifier la rentabilité. C’est le même mécanisme qui explique un aspect de l’endettement du Tiers-monde lorsque les pays occidentaux devaient recycler les pétrodollars après les chocs pétroliers de 1973  et de 1979. Ce qu’il faut aussi signaler c’est que ce sont les contribuables des pays occidentaux qui vont payer la facture de l’endettement de leurs Etats pour venir au secours des banques. Les économistes parlent d’équivalence ricardienne pour signifier que les créanciers d’aujourd’hui (les citoyens qui prêtent à l’Etat) sont les débiteurs de demain (ceux qui subiront la hausse des impôts).

Ces mesures de sauvetage ont plusieurs conséquences. En voici quelques unes. D’abord, un aspect positif car elles cherchent à annuler le déficit de confiance qui existe désormais non seulement entre les banques au sein du marché interbancaire, mais aussi entre les banques et les entrepreneurs qui voient les conditions d’accès au crédit se durcir de plus en plus. Sur cet aspect, ce sont de bonnes mesures car entretenir la confiance et entretenir le crédit peuvent limiter l’impact de la crise financière sur l’économie réelle et le niveau général de l’activité. Ce qu’il y a aussi à éviter ici est une panique bancaire, c'est-à-dire, un mouvement général et massif de retrait de leur épargne par les épargnants. Il y’a d’autres aspects moins positifs de ces mesures. Le fait que les Etats et les Banques Centrales viennent à la rescousse des banques secondaires peut aussi renforcer la méfiance des clients par rapport aux banques et les amener à faire des retraits massifs car cela renforce l’idée qu’il y’a des problèmes très graves dans le bilans de ces banques. L’autre problème que présente ces mesures est l’achat des créances douteuses des banques par les Etats. Il faut savoir à quel prix se fait cet achat car le niveau de ce prix entraîne aussi des conséquences : si le prix est faible, alors les banques restent dans les problèmes car elles n’auront pas assez de liquidités. Si le prix est très élevé, alors les Etats donnent une prime aux spéculateurs et encouragent dans l’avenir des comportements analogues. Il faut aussi signaler, juste pour finir avec ces mesures, que ces Etats pouvaient aussi choisir de garantir les créances des banques américaines en faisant des transferts aux ménages endettés et obligés de sortir de leurs maisons. Les USA n’ont pas choisi cette solution qui semble socialement plus juste pour le contribuable américain, mais idéologiquement contre la vision du monde des libéraux au pouvoir. Enfin, ces mesures de sauvetage auront un effet très limité si les paradis fiscaux que sont et possèdent de nombreux pays occidentaux ne sont pas aussi régulés.

-Quelles leçons par rapport au modèle de développement dominant en Afrique Noire ?
Le modèle de développement dominant est tout simplement celui que promeuvent les institutions financières internationales, et qui a pour soubassement théorique la pensée économique classique et néoclassique dont certains principes centraux sont entre autres : une spécialisation internationale suivant le principe des avantages comparatifs (chacun se spécialise dans la production des biens où il est le plus doué) ; l’ouverture internationale des Etats pour profiter des gains à l’échange qui sont toujours théoriquement positifs pour tous ; le désengagement de l’Etat pour permettre un bon fonctionnement du marché qui est lui-même supposé optimal, et la libéralisation financière par le développement des bourses de valeur (approfondissement financier).

Cette crise montre que ce modèle dominant développe une pensée dogmatique et donc très idéologique en ce sens qu’elle soutient mordicus et avance de façon péremptoire que les marchés fonctionnent mieux sans intervention des Etats, que les systèmes financiers libéralisés sont les plus solides et les plus favorables pour le développement, et que l’allocation des ressources assurée par les marchés est la meilleure pour toute la société.
Le développement de la Chine où l’Etat est omniprésent et la crise financière actuelle montrent que tous ces dogmes et postulats sont archi faux car la main invisible du marché qui doit chaque fois entraîner une harmonie spontanée des intérêts au sein de la société, a disparu comme par enchantement depuis le début de la crise. C’est plutôt la main bien visible des Etats que nous voyons pour jouer les sapeurs pompiers. Il aurait fallu qu’on laissât le marché s’ajuster de lui-même de façon optimale pour que ces dogmes libéraux et néolibéraux fussent démontrés véridiques. Même les modèles économiques mathématiques qui servent d’instruments prévisionnels n’ont rien vu venir. Je crois que les raisons sont simples. D’un côté, ce sont les keynésiens et les néo-keynésiens comme Joseph Stieglitz qui ont raison en soutenant d’une part que les marchés sont imparfaits et doivent être régulés et, d’autre part, que les asymétries d’informations existent et empêchent aux agents d’avoir une vue synoptique (panoramique) de la réalité socioéconomique. Les anticipations ne sont pas du tout rationnelles mais adaptatives.

J’espère que ceux qui imposent ces politiques néolibérales aux pays africains vont réfléchir et se rendre compte que leur modèle de développement n’est pas si parfait qu’ils veulent le faire croire. Le marché est une institution sociale et institutionnalisée qui a besoin de facteurs purement sociaux comme la confiance pour fonctionner. S’agissant du système financier, le dualisme financier qui prévaut en Afrique subsaharienne ouvre d’autres perspectives pour le développement d’un système financier plus adapté aux réalités africaines et au niveau de développement de ces pays : il faut des systèmes financiers de développement à ces pays africains et non une simple modernisation financière par libéralisation financière comme cela se fait actuellement avec les ajustements structurels.

Nous avons constaté qu’en Afrique, des mouvements de panique ont eu lieu sur des places financières. Quelles peuvent être les conséquences de cette crise pour le système financier du continent noir ?

Une autre image tirée de la nature s’impose également ici. Quand il y a une éruption volcanique ou un tremblement de terre, les zones les plus affectées sont celles qui se situent proches de l’épicentre même si celles qui se situent loin de celui-ci reçoivent inévitablement aussi le choc. C’est la même chose qui se passe en Afrique Noire ou l’onde de choc ne peut ne pas arriver. Le choc arrive avec une faible violence car son système financier ne constitue pas l’épicentre du système financier mondial comme l’est par exemple celui des USA.

La crise financière est certes mondiale comme je vous le disais tantôt à cause de l’interconnexion des économies dans un contexte de mondialisation, mais le système financier le plus approfondi (développé) en Afrique Noire étant celui de l’Afrique du Sud, je crois que la crise financière y sera moins profonde qu’en Occident. Pour ce qui est de son système financier, l’Afrique Noire va récolter ce que je peux appeler une prime ou une externalité positive de son sous-développement financier en particulier, et de son sous-développement économique en général: c’est la chance des pauvres que de ne pas dépendre totalement des bourses de valeurs. C’est une conséquence qui doit faire réfléchir ceux qui adoptent les politiques néolibérales en Afrique Noire car cette crise montre que plus le système financier est approfondi (développé), plus la corrélation entre sa crise et la crise sociale est grande et positive à cause de la financiarisation du corps social que ce développement implique.

Si des mouvements de panique ont eu lieu en Afrique Noire, cela peut s’expliquer par des comportements mimétiques (imitations) ou des effets mémoires à travers lesquels certains se rappellent qu’ils ont déjà beaucoup perdu dans les banques qui ont fait faillite par le passé. Et puis, les principales banques secondaires subsahariennes étant des filiales des banques occidentales, les mesures qui sont prises pour sauver leurs maisons mères en Occident sont aussi valables pour elles. Donc, pour me résumer, le système financier africain sera obligatoirement affecté mais largement moindre que les systèmes financiers des pays occidentaux qui par ailleurs en prenant des mesures de sauvetage en amont pour leurs banques, sauvent aussi en aval leurs activités en Afrique noire sauf cas extrême où les banques peuvent y fermer si leurs maisons mères connaissent des pertes sèches insurmontables. En ce qui concerne les Bourses de valeurs africaines, je crois que leur capitalisation sont tellement encore faibles que rien n’est à craindre de ce côté-là.

Cependant, il va sans dire que la hausse du coût du crédit sur le plan international se répercutera aussi sur le coût du crédit en Afrique Noire pour celles des populations qui y ont accès. Celles des populations africaines qui subissent le rationnement du crédit du système bancaire officiel ne sont pas épargnées. Elles sont doublement sanctionnées : d’un côté, les marchés financiers étant encore peu développés, la baisse de la masse monétaire qui résulte du manque de liquidité actuelle, réduit le montant du numéraire (pièces et billets) qu’elles utilisent abondamment dans les circuits informels. De l’autre, ce manque de liquidité entraîne une hausse des taux d’intérêts informels pour ceux qui y empruntent. Il devient donc très difficile de consommer car avoir de l’argent devient très coûteux, et les prix des produits augmentent parce que le marchand du coin achète plus cher et vend aussi obligatoirement plus cher.

Note de la rédaction : Dans notre prochaine édition, Thierry Amougou reviendra sur l’incidence de cette crise financière au Cameroun et sur l’avenir des financements étrangers des projets en direction de l’Afrique.

( Camer.be)Propos recueillis à Louvain-la-Neuve par Hugues SEUMO

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