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16 novembre 2008

Belgique- Cameroun : Me Alexis DESWAEF " Dans notre plainte, nous avons visé la « coalition de fonctionnaires »"

Alexis_Deswaef160309500Bientôt un an jour pour jour que le camerounais Folefack Sontsa Ebenizert avait été retrouvé mort dans les toilettes du centre fermé de Merksplas en Belgique. C'était le 1er mai 2008. Il avait été placé en cellule d`isolement le 27 avril 2008, après une tentative d`expulsion avortée la veille, au cours de laquelle, des témoignages concordants faisaient état de ce qu`il avait subi des violences. Le mercredi 11 mars dernier, l'Avocat du défunt s'est joint au nom de la famille Folefack à la plainte en cours initiée par Monsieur Fosso Serges, un des passagers qui avait dénoncé le traitement reservé à Feu Folefack en se constituant partie civile. Me Alexis Deswaef, Avocat du défunt apporte des éclaircissements sur cette plainte. Lisez plutôt

Bonjour Maître, vous vous êtes joints ce jour au nom de la famille Folefack à la plainte en cours déjà initiée par Monsieur Fosso en vous constituant partie civile. Est-ce que vous pouvez, à l’intention de nos lecteurs, nous faire part du contenu  de cette plainte ?

Il y avait effectivement une plainte avec constitution partie civile qui avait été déposée par Monsieur Fosso et deux autres personnes débarquées violemment du vol de Brussels Airlines le 26 avril 2008 lors  de la tentative de rapatriement de Monsieur Folefack Sontsa Ebenizert. Lors de cette  tentative de rapatriement et après son échec, Monsieur Folefack a subi des violences, des coups et blessures volontaires de la part des agents de l’escorte.  Nous pouvons qualifier ces faits de traitement inhumain et dégradant.   Les policiers de l’escorte lui ont dit qu’ils allaient  lui faire payer le fait que la tentative de rapatriement avait échoué.

Avez-vous la preuve que les policiers  avaient dit à Monsieur Folefack qu’ils allaient lui faire payer cet échec de rapatriement ?

Nous avons la preuve car Monsieur Folefack, à son retour au centre fermé de Merksplas, avait rédigé une note sous forme de plainte où il évoquait déjà les mauvais traitements subis lors de cette tentative de rapatriement.  L’assistante sociale avait également rédigé un rapport en néerlandais où elle relate les dires de Monsieur Folefack. Ces documents sont datés des 28 et 29 avril 2008, donc deux jours après cette tentative de rapatriement. Il se fait que  le 1er mai 2008, Monsieur Folefack est retrouvé mort dans les toilettes du centre fermé. Cette mort absolument dramatique a donné lieu à une enquête. A la demande de la famille,  une autopsie a été ordonnée par le parquet de Turnhout. Les résultats de cette autopsie ne permettent pas de remettre en cause la version qui a été donnée immédiatement après la découverte de son corps, à savoir le fait qu’il se serait suicidé. Mais la question centrale qui se pose est de voir dans les jours qui ont précédé cette mort dramatique,   ce qu’a subi Monsieur Folefack lors de cette tentative de rapatriement. Il a voulu s’en plaindre et cette plainte n’a jamais été instruite. Ce n’est que de manière tout à fait fortuite que nous avons découvert l’existence de cette plainte de Monsieur Folefack. En effet,  c’est  lors d’une rencontre à l’Office des étrangers où une série d’objets lui appartenant ont été remis à une proche que, face au  responsable de l’Office des étrangers qui feuilletait son dossier administratif, j’ai  remarqué un document écrit de sa main. J’ai tout de suite demandé des explications et surtout une photocopie de ce document. Ultérieurement et plus précisément  fin décembre 2008, le dossier qui avait été mis à l’instruction à Turnhout a donné lieu à un nonieu. Nous avons alors eu accès à ce dossier répressif contenant tous les résultats de l’autopsie, mais aussi tous les documents que la direction du centre fermé de Merksplas a remis aux enquêteurs.  A ma grande surprise, je n’ai pas retrouvé de trace de cette plainte manuscrite de Monsieur Folefack, ni du rapport de l’assistante sociale alors que d’autres documents s’y trouvaient, à savoir par exemple la lettre d’adieu qu’il avait rédigé. Et ça pose question parce que les deux documents  sortis du dossier au niveau du centre fermé sont faxés le 5 mai à la direction générale de l’Office des étrangers et donc l’original était resté à Merkplas. Or, dans le dossier répressif on n’en retrouve pas la trace. C’est pour cela que dans la plainte que nous avons déposé aujourd’hui entre les mains du juge d’instruction, outre le traitement inhumain et dégradant, les coups et blessures volontaires et l’abus d’autorité de la part de l’escorte, j’ai  repris également la « coalition des fonctionnaires », qui est un  délit spécifique visé à l’article 233 du Code pénal, parce que je ne comprend pas comment ces documents qui me semblent fondamentaux disparaissent du dossier et que c’est de manière fortuite qu’ils sont apparus . Si Monsieur Folefack n’était pas décédé dramatiquement, cette plainte écrite de sa main n’aurait jamais eu de suite. Et  on est en droit de se demander  quelle est la politique qu’on mène en matière de rapatriement où des plaintes, déposées après des tentatives de rapatriement qui échouent, subissent en fait un classement vertical pour le dire poliment.

Tout à l’heure vous avez cité  le délit spécifique visé à l’article 233 du Code pénal. Que stipule t-il ?

L’article 233 du Code pénal dit que, lorsque des mesures contraires aux lois auront été concertées, soit dans une réunion d’individus ou de corps dépositaires de quelque partie d’autorité publique, les coupables seront punis d’un emprisonnement d’un mois à six mois. C’est un article qui est très peu appliqué. Dans le cas de l’espèce, on peut dire qu’il y a dû avoir concertation à un moment donné pour se dire « ces documents là, on ne les transmet pas ». Pourquoi on ne les transmet pas? Peut être que ce n’est pas  une personne seule qui a prise cette décision, c’est peut être la direction, les responsables du centre fermé qui ont caché ces documents. C’est dans ce sens que nous avons visé la « coalition de fonctionnaires » et il revient au juge d’instruction de vérifier si les éléments constitutifs de cette infraction sont réunis. Je suis incapable de le dire. Je soulève le problème de la non transmission de documents qui me paraissent essentiel et il revient au juge d’instruction de faire son travail.

Quand est ce que vous avez reçu les copies du dossier répressif du parquet de Turnhout ?

J’ai reçu les copies du dossier répressif du parquet de Turnhout, fin décembre 2008 et dans ce dossier, je n’ai pas trouvé une trace de la plainte de Monsieur Folefack, ni du rapport de l’assistante sociale rédigée lors de son retour de cette tentative d’expulsion.

Une manière de dire que tout était arrangé à Merksplas pour que le dossier soit classé…

L’autorité habilitée à recevoir cette plainte, à savoir la direction du centre fermée de Merksplas, n’a  absolument rien fait pour lui réserver une suite or, Monsieur Folefack parle en des termes très forts. Il dit qu’il a fait l’objet de violences de la part de cinq policiers qui l’ont attaché comme un animal, qui l’ont porté comme un colis jusqu’à l’avion en le tenant par une ceinture qui attachait ses jambes. Il poursuit sa plainte en expliquant qu’il avait très mal au corps quand il était assis dans l’avion et qu’on le maintenait en position repliée vers le bas de manière inacceptable.  Il se sentait étouffé, il a commencé à crier et c’est alors que des passagers ont réagis. On l’a débarqué du vol  sur ordre du commandant de bord et c’est là qu’il a été mis dans la camionnette  où il a subi des  coups de la part des agents de l’escorte avant de le remettre en cellule. Il a dû attendre l’arrivée du médecin pour qu’on lui enlève la ceinture et les menottes. Le «bilan », comme il le dit lui-même, depuis le samedi de cette tentative de rapatriement, c’est  qu’il n’arrive pas à manger car ses mâchoires lui font mal, il a les tibias écorchés, il a mal au dos, une blessure dans la bouche, mal aux reins et, dit-il,  « je ne dors pas les nuits car j’ai mal partout ». Il signe cette lettre le 29 avril 2008. C’est un document interpellant ! Pourquoi n’a-t-il pas été transmis et reçu aucune suite?

Pourquoi avoir attendu presque un an pour saisir le juge d’instruction ?

J’attendais d’avoir accès au dossier de Turnhout, qui s’est donc clôturé  par  un non-lieu. C’est seulement  à ce moment là que j’ai eu accès au dossier de Turnhout. J’ai pu en demander la copie à partir de décembre 2008 et je l’ai  réceptionné au mois de janvier 2009. Le temps de préparer cette plainte et  aller chez le juge d’instruction pour l’introduire, nous sommes en mars et d’ici deux mois, nous serons déjà à un an de ce fait tragique. Il  faut effectivement que la justice fasse son travail pour éclaircir toutes les circonstances de cette tentative de rapatriement parce que  ceci pose question, au-delà du cas tragique de Monsieur Folefack et du traitement infligé à Monsieur Fosso et les passagers qui ont osé réagir. Au-delà de ce cas particulier, ce dossier est emblématique de la manière dont on expulse, traite les candidats réfugiés ou les sans-papiers qu’on veut rapatrier, ou encore de la manière dont on traite  des citoyens qui font  usage de leur liberté d’expression pour refuser ce qui apparaît comme inacceptable,  à savoir que quelqu’un est finalement traité pire qu’un animal.

Revenons un peu à la plainte. Puisqu’il s’agit d’une infraction pénale, quel est le délai de prescription ?

Quand on parle d’infraction pénale, il existe toujours  des délais de prescription en fonction de la gravité de l’infraction : le  crime, le délit ou la contravention. Ici  dans le cas d’espèce, puisqu’il s’agit d’un délit, le délai de prescription est de  cinq ans renouvelable   suite à ce qu’on appelle un « acte interruptif de prescription ». Donc  potentiellement, les faits ne se prescriront pas avant dix ans. Il n’y a donc pas de danger de prescription dans les années à venir dans ce dossier.

Au cas où la plainte n’abouti pas, y a-t-il une possibilité de saisir la Cour Européenne des droits de l’Homme ?

Vu qu’il y a eu une plainte avec constitution de partie civile entre les mains du Juge d’instruction,  cette  affaire devra dans tous les cas donner lieu à un  une audience devant la  Chambre  du Conseil pour le règlement de la procédure.  Cette audience, qui n’est pas  publique, doit décider  soit d’un renvoi devant le tribunal correctionnel, soit  d’un non-lieu qui mettrait fin au dossier. Ces décisions là sont susceptibles d’un appel devant la Cour d’Appel. Si jamais ce dossier n’abouti pas, les règles veulent qu’avant de se tourner vers la Cour européenne des droits de l’Homme à Strasbourg, on doit épuiser les voies de recours internes. Il  faudra donc aller jusqu’en Cour de cassation, la plus haute juridiction belge, avant de se tourner vers la juridiction européenne  à Strasbourg. Nous n’en sommes pas encore là, mais il n’est pas impossible qu’un tel dossier arrive jusque là. Toutefois, j’ose espérer que la justice belge fera son travail et qu’il ne sera pas nécessaire d’épuiser les voies de recours internes et surtout, qu’il ne sera pas nécessaire de se tourner vers Strasbourg parce qu’évidemment c’est la justice belge qui est la mieux  placée pour juger les responsables de ces faits inacceptables. La Cour européenne des droits de l’Homme n’est le cas échéant compétente que pour éventuellement condamner l’Etat belge pour une atteinte à la Convention européenne des droits de l’Homme, tant pour les faits que pour  la manière dont il aurait traité ce dossier.

Avez-vous dans le cadre de l’affaire Folefack, prévu une communication  pour expliquer  le contenu de votre plainte ?

Avec les autres intervenants dans ce dossier, que ce soient les personnes qui ont osé  élever la voix pour contester l’inacceptable qui était en train de se passer, Monsieur  Fosso et consorts, avec la Ligue des Droits de l’Homme, le Ciré, le Collectif Folefack, etc, une conférence de presse est planifiée le mercredi 25 mars 2009 à 11 heures dans les locaux de la Ligue des Droits de l’Homme à Bruxelles.

Question personnelle, il se chuchote au sein de la communauté africaine que Maître Alexis Deswaef est l’avocat des sans-papiers. Qu’en pensez-vous ? Et quelle est votre  force ?

Pour commencer, je suis l’avocat de toute personne qui me le demande, si je peux lui apporter une aide.. Ma « force », comme vous dites, c’est peut être  la confiance que me font les sans-papiers, à qui j’explique toujours les choses comme elles sont. Je ne suis pas un magicien, comme je le dis souvent aux sans-papiers qui me consultent. Tout ce que je fais, c’est de faire le maximum pour trouver une solution dans le cadre des limites légales existantes. Je sais aussi qu’il y a  souvent beaucoup d’espoir qui repose sur l’avocat, dont on espère qu’il va pouvoir tout arranger. Malheureusement ce n’est pas toujours aussi simple. Nous pouvons essayer d’aider les sans-papiers, en  en expliquant les règles légales   pour offrir les meilleures solutions. Cela implique aussi de dire au client dans certains cas, quand il le faut,  que  dans son dossier, il n’y a malheureusement pas de solution.

© Camer.be : Propos recueillis par Hugues SEUMO

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