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26 février 2009

Cameroun : Dr Aboya Endong Manassé "le Cameroun d’aujourd’hui ressemble à un aveugle qui cherche désespérément ses marques. "

Aboya260909500Monsieur Aboya Endong Manassé est Docteur Nouveau Régime en droit public et science politique de l’Université François Rabelais de Tours (France), et actuellement Chargé de cours au département de droit public et de science politique de la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université de Douala (Cameroun). Aboya Endong Manassé est également le Directeur Exécutif du Grepda (Groupe de recherches sur le parlementarisme et la démocratie en Afrique), une unité de recherches rattachée à l’Université de Douala et Directeur de publication du confidentiel Africa Top Secret.

Ali Ben Bongo vient d’être élu Président du Gabon. L'opposition gabonaise conteste cette élection et estime qu'elle a été entachée de fraude. Selon vous, qu'est ce qui explique le fait que les élections sont toujours contestées en Afrique ?

A l’observation minutieuse de la scène politique africaine, on peut valablement affirmer que le processus électoral est manifestement l’arbre qui dévoile la forêt démocratique en Afrique. Avec son corollaire de fraudes massives et de tripatouillages hors du commun, justifiant ces contestations interminables. Et pour cause ? Les anciens partis uniques qui se sont reconvertis officiellement en partis administratifs, à la faveur notamment d’un multipartisme démonstratif retrouvé,  ont su garder, contre tous, leur position de pouvoir. Pour survivre au parti unique, ils utilisent de manière vicieuse les moyens administratifs, financiers, coercitifs et médiatiques entièrement entre leurs mains pour mettre les différents Chefs d’Etat, leurs fils ou tout autre candidat investi par eux à l’abri d’un vote sanction prévisible. Aussi, en dix ou quinze ans de consultations électorales pluralistes en Afrique francophone, les vertus reconnues du suffrage universel ont-elles fait place à des joutes dont l’issue est toujours prévue largement à l’avance. A l’aide de moyens de plus en plus sophistiqués, les ‘’machines à frauder’’ se sont consolidées progressivement et ont transformé les espoirs d’une libre expression du suffrage universel en de véritables ‘’farces électorales’’. De modes de régulation politique et d’alternance qu’elles devraient être à l’intérieur des Etats prétendument engagés dans la voie de la démocratisation, les compétitions électorales sont devenues, à force de manipulations, de véritables instruments de légitimation des pouvoirs en place. L’exemple du Gabon peut difficilement déroger à cette règle, d’où cette expression de rejet et de contestations manifestes exprimées ici et là. Et comme partout ailleurs en Afrique francophone, le miracle n’a pas pu avoir lieu au Gabon !

Avec ce que nous sommes en train de vivre au Gabon, voudriez-vous par là insinuer que le Cameroun n'échappera pas  à ce syndrome de contestation lors de l'élection présidentielle future ?

La situation est encore beaucoup plus compliquée en ce qui concerne le Cameroun, tant la mise en place d’Elecam n’a pas suscité des adhésions conséquentes, notamment en provenance de la plupart des forces politiques ou sociales indispensables pour fédérer les convergences préventives aux désordres. Les critiques du Sdf, le plus grand parti d’opposition, sont ainsi connues de l’opinion publique lorsque ce parti assimile Elecam à une sorte « d’antichambre du Rdpc ». Les réserves de la société civile quant à elles, formulées notamment par la plate-forme des organisations de la société civile sont elles aussi officielles. A ce propos, Hilaire Kamga, le Secrétaire permanent de cette plate-forme, accable Elecam quand il affirme sans coup férir que cette institution est une « régression sérieuse du système électoral ». Inutile d’évoquer la critique acerbe, bien connue du cardinal Christian Tumi par rapport aux pesanteurs partisanes qu’il attribue également à cette institution, etc. Autant d’aspects qui indiquent clairement que le syndrome de la contestation est manifestement cultivé et entretenu. Ce syndrome n’est pas négligeable, tant il rentre dans cette longue liste de petits ingrédients qui nous conduisent inéluctablement vers la guerre civile. Car on a beau faire semblant de l’ignorer, nous marchons inexorablement vers une guerre civile si les méthodes de gouvernement ne se réajustent pas à temps.

Nous avons constaté, que ce soit au Togo, au Congo RDC et plus récemment au Gabon, qu'un scénario de la monarchisation plus ou moins déguisée est en train de prendre pied au sommet des Etats africains. Quelle est votre analyse ?

Il faut tout au moins avoir à l’esprit l’idée selon laquelle la monarchie est un régime politique dans lequel le chef de l’Etat est un souverain héréditaire. Ces préalables théoriques sont indispensables à cerner pour éviter de sombrer dans des généralisations impropres aux différentes situations qui se présentent à nous depuis quelques temps en Afrique. Pris dans ce sens, les cas du Togo ou de la RDC sont loin d’être assimilés à la situation gabonaise, tant la monarchie ne va pas de pair avec la tenue des élections libres et compétitives. Dans cette logique, il me semble qu’Ali Ben Bongo Ondimba a été bel et bien élu d’entrée de jeu Président de la République du Gabon, même si cette élection qui s’est tenue librement se trouve aujourd’hui contestée par ses concurrents. On ne saurait cependant assimiler cette perspective à la monarchie. Par contre, Faure Essozimna Gnassingbé et Joseph Kabila Kabange ont empruntés au départ des trajectoires assez proches de la monarchie. Aucune élection ne les a conduits au préalable à la tête de leurs Etats respectifs. Ils sont ainsi le produit d’une prise de pouvoir monarchique à travers la trajectoire héréditaire qu’ils avaient préalablement empruntée…

Docteur Manassé Aboya, si l'on vous comprend bien, voulez-vous par là dire que le Cameroun par exemple pourrait échapper à cette nouvelle pratique ?

Le Cameroun est effectivement très loin de reprendre une telle pratique. Sous réserve d’une probable évolution contexte actuel. En effet, si le Gabon d’Omar Bongo Ondimba, la Guinée Equatoriale de Teodoro Obiang Nguéma, le Sénégal d’Abdoulaye Wade, la Lybie de Mouammar Kadhafi ou le Togo de Gnassimbé Eyadéma se sont accommodés d’une tradition officielle de la préséance familiale dans l’exercice du pouvoir d’Etat, ce n’est nullement pas le cas au Cameroun où la famille présidentielle ne se mêle pas officiellement de la conduite des affaires publiques. Franck Emmanuel Biya, en l’occurrence, est complètement effacé de la scène publique et mène une vie très discrète avec ses anciens camarades du Collège Vogt à Yaoundé. Ceux qui programment son arrivée dans la scène politique ignorent certains préalables élémentaires : l’expérience ou la maturité dans son cas ne s’acquièrent que dans l’exercice d’une fonction. A moins de procéder par une succession héréditaire. Ce qui n’est nullement envisageable dans le Cameroun d’aujourd’hui. Du moins si l’on s’en tient aux dispositions constitutionnelles allant dans ce sens !

Selon vous, quel serait le profil du candidat idéal pour l'élection présidentielle de 2011 au Cameroun ?

A mon avis, il n’y a pas de profil-type à sortir d’un chapeau magique pour construire une bonne candidature à la prochaine présidentielle au Cameroun. Il faut tout simplement une convergence patriotique vers un homme qui aime le Cameroun, qui connaît ses problèmes et qui dispose d’un background lui permettant d’apporter des solutions conséquentes aux préoccupations des populations, tout en projetant le Cameroun vers la modernité. Sur ce plan, on ne va pas inventer le fil à couper le beurre : il faut un homme capable d’amener le Cameroun à se mettre dans la voie de l’apprentissage de ce qui se fait de meilleur sous d’autres cieux. On a l’impression que le Cameroun d’aujourd’hui ressemble à un aveugle qui cherche désespérément ses marques. Il s’agit simplement de créer une dynamique en vue d’aider le Cameroun à sortir de cette situation !

Les proches du président de la République ont déjà commencé, à travers motions et déclarations, à lui suggérer d’être candidat à l`élection présidentielle de 2011…

Il n’y a rien d’étonnant à cela ! A la faveur de l’abrogation de l’article 6 alinéa 2 de la Constitution camerounaise, relatif à la limitation du nombre de mandats présidentiels, cette perspective était inévitable. Toutes ces motions indiquent donc tout simplement que le débat sur le ‘’dauphinat’’ a été renvoyé à plus tard. Elles rappellent à n’en point douter que le Président national du RDPC est le candidat naturel de ce parti à la présidentielle. Aux autres forces politiques de proposer une alternative consistante.

Quelle lecture faites-vous de la contestation d'Elecam par les forces vives de l'opposition camerounaise ?

La contestation d’Elecam par les forces vives de l’opposition, et principalement du SDF, s’est davantage accentuée autour des violations présumées des articles 1, 8, et 13 de la loi N° 2006/011 du 29 décembre 2006 portant création, organisation et fonctionnement d’ « Elections Cameroon » (Elecam) relatifs à l’incompatibilité entre la fonction, la qualité et l’appartenance politique des membres d’Elecam. Le Sdf qui avait introduit un recours – auprès des instances compétentes - en annulation du décret présidentiel nommant les membres d’Elecam estimait ni plus ni moins que ceux-ci étaient inféodés au Rdpc et seraient de ce fait inaptes  à respecter la loi électorale de manière à assurer l’impartialité, la régularité, la sincérité, l’objectivité et la transparence des scrutins sur le plan national. Cette option décisive soulevait en clair le régime juridique des incompatibilités. Le Sdf souhaitait alors que les incompatibilités des membres nommés fussent constatées ou encadrées avant leur nomination. Le gouvernement a défendu et soutenu la position contraire : pour entamer une autre fonction, ceux-ci devraient se démettre simplement de leur fonction actuelle. La Cour suprême avait validé cette position. Beaucoup plus sérieusement, en acceptant au préalable que les membres de cette institution soient nommés par décret présidentiel, les différentes contestations étaient vouées à une perspective simple : « nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ».

Vous voulez dire par là que cette institution en charge de l'organisation des élections au Cameroun n'est pas une structure fiable …

Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette institution est fortement querellée. Mais au stade actuel des choses, on est rendu à la perspective de juger le maçon au pied du mur…

De manière générale, quel regard portez-vous sur les forces politiques actuelles de l'opposition camerounaise ?

Si elles existent encore, elles sont naturellement émiettées dans une inorganisation chronique et dans des divergences personnelles inqualifiables. Toutefois, il faut reconnaître que leurs moyens de travail peuvent difficilement être structurés positivement. Et pour cause ? Aucune opposition dans le monde ne peut travailler sans disposer des statistiques. Au Cameroun les informations élémentaires sont sous embargo : le recensement de la population, le taux du chômage, le fichier électoral, etc. Faire la politique dans un tel désert statistique est une incroyable mission qui exige davantage de foi que de réalisme !

Un mot sur la diaspora camerounaise ?

La diaspora camerounaise est un potentiel extraordinaire qui tarde à être mise à contribution pour appuyer les perspectives de développement multiforme du Cameroun.  Toutefois, on s’aperçoit que cette frange de camerounais est totalement exclue des perspectives nationales.  Pourtant, ces milliers de camerounais de l’étranger méritent d’être mieux considérés et reconnus pour leur fort attachement, et surtout leur patriotisme à l’égard du Cameroun. Ainsi serait-il indispensable qu’ils soient consultés pour les grandes décisions politiques dont ils subissent inévitablement  les conséquences à partir du moment où ils demeurent entièrement camerounais ; qu’ils soient également représentés dans certaines institutions étatiques car on trouve dans la diaspora des personnes d’une très grande valeur et formées dans les plus prestigieuses universités du monde ; et qu’ils puissent enfin obtenir le droit de vote, ne serait-ce que pour les élections de dimension nationale. ( A suivre)

© Camer.be : Propos recueillis par Hugues SEUMO

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