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1 mars 2009

France - Afrique: L’affaire des « biens mal acquis » comme acquis judiciaire contre la criminalité transnationale*

Biens_mal_acquis021208275Cher Maître,Vous avez bien voulu me demander un  avis juridique au soutien de l’action contre BONGO et autres. Constatant que plusieurs chefs d’Etat et leur famille disposent en France d’un patrimoine très important acquis depuis des années et que l’origine des fonds ayant permis ces acquisitions proviennent de divers détournements réalisés dans leur pays et dénoncés dans le cadre des infractions visés (complicité de recel de détournement de fonds publics, blanchiment, complicité d’abus de biens sociaux, abus de confiance, complicité d’abus de confiance et recel de chacune de ces infractions), l’ordonnance rendue par le d’instruction madame Françoise DESSET le 05 mai 2009 a déclaré recevable l’action de Transparence international France (TI) et irrecevable celle de monsieur NGBWA MINTSA, en sa double qualité de contribuable de l’Etat Gabonais et au nom de l’Etat Gabonais.

Cette ordonnance semble approuvée par différents auteurs : dans son « Entretien » au recueil Dalloz, le professeur Gabriel ROUJOU de BOUBÉE estime qu’une interprétation rigoureuse de l’article 2 CPP aurait probablement conduit à rejeter l’action de Transparence international France mais il ajoute que « ce type d’interprétation est aujourd’hui abandonné au profit d’une jurisprudence beaucoup plus favorable » (D.2009, n°22) ; de son côté madame Chantal CUTAJAR considère que la décision du juge est  « courageuse, fondée en droit, utile et conforme à l’idéal de justice » (« L’affaire des biens mal acquis ou le droit pour la société civile de contribuer judiciairement à la lutte conte la corruption », JCP 2009. Act. 277) ; enfin Félix ROME, dans un style plus humoristique (« Cousu de fil blanc », D. 2009 p.1265) évoque un « acte d’héroïsme judiciaire », tout en rappelant qu’il existe une tendance lourde de la Cour de Cassation, en vertu de laquelle « une association peut agir en justice au nom d’intérêts collectifs, dès lors que ceux-ci entent dans son objet social » (D.2008. Pan. 2895, observ. P. Jourdain).

Pour ma part, au vu des arguments tirés de la jurisprudence de la Cour de Cassation, et plus précisément des arrêts du 07 février 1984 et du 29 avril 1986 (Bull. Crim. 41 et 146, action du Comité Français Contre le Tabagisme) et de celui du 12 septembre 2006 (Bull. Crim. 217, action d’une association non agrée de défense de l’environnement), je parlerais plutôt de réalisme judiciaire. S’il est vrai, comme le fait valoir le Procureur de la République, que les circonstances sont différentes, tant en ce qui concerne le statut de l’association que les caractères du préjudice, l’évolution la plus récente aboutit, selon l’expression du professeur ROUJOU de BOUBÉE, "à une interprétation beaucoup plus favorable", qui marque une prise de conscience d’un rôle accru des acteurs civiques que sont les groupements collectifs, dont l’action renforce l’efficacité du droit pénal, tout particulièrement lorsqu’il s’agit, comme en l’espèce, de lutter contre une criminalité à caractère transnational.

Comme l’a souligné le juge d’instruction, l’Association Transparence international France fait en effet partie d’un ensemble Transparency International qui fédère plus de 90 associations nationales directement engagées dans la lutte contre la corruption et la restitution des biens dits « Mal acquis », ce qui conduit le juge à considérer que Transparence international France a subi « un préjudice personnel économique directement causé par les infractions qu’elle dénonce », car ces infractions se rattachent au fondement même du combat qu’elle mène.

J’ajoute qu’une telle décision, comme l’évolution qui la précède, s’inscrit dans une logique d’ensemble qui tient aux transformations observables depuis quelques années tant en droit Français qu’en droit européen et international.

EN DROIT FRANÇAIS

Il y a déjà quelques temps que la disparité du régime de l’action civile des associations est critiquée (voir le compte rendu du 23ème Congrès Français de criminologie, « L’action civile des groupements : l’action publique menacée ou partagée ? », Archives de politique criminelle, PEDONE 1988, n°19, p. 11sq, notamment le rapport introductif  « Ni procureurs, ni victimes, qui sont ils ? »). La Commission Justice et Droits de l’Homme avait d’ailleurs, à son tour, souligné cette disparité et proposé d’unifier les conditions d’accès  à la justice pénale (La mise en état des affaires pénales, La documentation Française 1991, p. 154.sq) : « si cette disparité restait acceptable lorsque l’action collective était le privilège de quelques organismes, son maintien paraît peu concevable lorsqu’on prend en considération le nombre des associations désormais pâtes à exercer une telle action et l’accélération du mouvement ; on est d’ailleurs contraint de reconnaître, quelle que soit la peur d’engorgement des juridictions manifestée par certains magistrats, qu’il s’agit là d’un phénomène irréversible ; à l’intersection de deux mouvements de fond de nos sociétés : la développement de l’action associative et la place croissante du droit dans les relations sociales ».

Aussi la Commission proposait-elle, il y a près de vingt ans, « une unification et une simplification ». Or les transformations récentes de la procédure pénale, en faveur d’un transfert des pouvoirs d’enquête et parfois de quasi jugement au Ministère Public (MP), notamment dans le cadre de la procédure de comparution sur reconnaissance de culpabilité créée en 2004, (voir M. Delmas-Marty), « Le parquet, enjeu de la réforme pénale », Le Monde, 26 mai 2009 ; « La phase préparatoire du procès pénal. Pourquoi et comment réformer ? » ( Les annonces de la Seine, 4 juin 2009, n° 34, p. 2s), rendent particulièrement nécessaire le contre-pouvoir des constitutions de partie civile, alors que celles-ci sont désormais filtrées par le Ministère Public (loi 5 mars 2007, art. 85 in fine CPP).

D’autant que le transfert n’est pas terminé. Le rapport que le Comité de réflexion sur la justice pénale (présidé par Philippe LEGER) a remis au Président de la République et au Premier Ministre le 1er septembre 2009 préconise de supprimer le juge d’instruction et de faire du Ministère Public le seul directeur de l’enquête, tout en proposant d’étendre la procédure de comparution sur reconnaissance de culpabilité aux crimes. Ces propositions ne font que renforcer la nécessité de contre-pouvoirs, qui est également requise par l’évolution du droit européen et international.

EN DROIT EUROPÉEN

Outre le principe de non discrimination dans l’accès à la justice (art. 14 CESDH combiné avec les articles 6 et 13), il faut rappeler la critique de la Cour Européenne des droits de l’homme dans l’affaire MEDVEDYEV c.France (jugée le 10 juillet 2008, mais renvoyée devant la grande chambre) :

« Force est de constater que le procureur de la République n’est pas une autorité judiciaire au sens que la jurisprudence de la Cour donne à cette notion : comme le soulignent les requérants, il lui manque en particulier l’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif pour être ainsi qualifié ». La critique a d’ailleurs été reprise dans un rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme du conseil de l’Europe (23 juin 2009).

Sans évoquer ces critiques, le rapport LEGER souhaite maintenir le statut actuel des magistrats du parquet et considère que le véritable contrepoids, face à un Ministère Public (MP) aux pouvoirs étendus, serait notamment l’accroissement des droits des victimes. Toutefois le rapport reste timide sur ce point, évoquant seulement la possibilité de saisir le futur « juge de l’enquête et des libertés » en cas d’inaction et celle d’un recours gracieux devant le procureur général en cas de classement sans suite (la possibilité de contester le classement devant le juge étant limité au domaine criminel).

De telles transformations du droit Français rendent désormais indispensable de procéder à un rééquilibrage  des pouvoirs. C’est pourquoi il faut approuver la tendance de la jurisprudence évoquée ci-dessus à élargir les conditions de recevabilité, notamment dans des affaires aussi sensibles que celle qui touchent à la corruption, au sens le plus large désormais par le droit international.

EN DROIT INTERNATIONAL

A l’heure de la mondialisation, et dans le contexte d’une criminalité qui se globalise, il faut en effet souligner une forte convergence du droit international en faveur de la mise en œuvre effective et efficace des textes relatifs aux diverses formes de corruption, y compris le recel et le détournement de fonds publics. Cette exigence résulte des principales conventions mondiale (ONU, Convention Contre la corruption, 11 décembre 2003), quasi-mondiale (OCDE, convention Sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationale, 21 novembre 1997), ou régionales (Union Européenne, convention Relative à la lutte contre la corruption concernant des fonctionnaires des communautés Européennes ou des fonctionnaires des Etats membres, 26 mai 1997 ; Conseil de l’Europe, convention Pénale sur la corruption, 27 janvier 1999 ; Union Africaine, convention. Sur la prévention et la lutte conte la corruption, 11 juillet 2003 et pour mémoire convention Interaméricaine, 29 mars 1996).

Or dans un système d’opportunité des poursuites comme le nôtre, laisser l’initiative des poursuites au seul Ministère Public ne garantit pas l’application effective de la loi pénale.

Le juge d’instruction rappelle dans son ordonnance qu’en l’espèce la plainte simple avait dans un premier temps été classée sans suite pour "infraction insuffisamment caractérisée". Ce risque d’ineffectivité a d’ailleurs conduit le groupe chargé du suivi de la convention OCDE sur la lutte conte la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales à critiquer le droit Français concernant les fonctionnaires étrangers en ce qu’il réserve au Ministère Public le monopole des poursuites (art. 435-6 CP), la seule exception étant celle des affaires concernant l’Union Européenne.

Le groupe avait conclu en recommandant à la France de modifier la loi sur ce point (voir the OECD Convention, A Commentary, Mark Pieth, Lucinda A. Low et Peter J. Cullen, Cambridge Univ. Press, 2007, P. 329).

Si le risque d’ineffectivité vaut pour les actes de corruption commis à l’étranger sur des fonctionnaires étrangers (compétence extraterritoriale), à fortiori, doit-il être combattu lorsque le délit – en l’espèce le recel de détournement de fonds publics – est commis sur le territoire national.

Or déclarer l’irrecevabilité des constitutions des parties civiles aboutirait à consacrer plus largement un monopole de fait du Ministère Public sur toutes les affaires, quel que soit la critère de compétence. Ce serait une façon d’entériner une situation qui est pourtant critiquée à juste titre au regard des principes qui doivent être ceux d’un Etat de droit.

Professeur Mireille DELMAS-MARTY, 09 septembre 2009

* Le titre et le surtitre sont de AGA MEDIAS

© Revue d’études Juridiques Comparatives et Internationalisation du Droit, Paris : Professeur Mireille DELMAS-MARTY

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