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7 juillet 2013

Egypte, révolution, armée et démocratie...Thierry AMOUGOU répond à nos questions

Amougou_Thierry090112300Macro économiste, Maître de conférences à l’Université catholique de Louvain la-neuve, il est membre du GRIASS (Groupe de Recherches Interdisciplinaires sur l’Afrique Subsaharienne), du CRIDIS (Centre de Recherches Interdisciplinaires Démocraties, Institutions, Subjectivités). Dans cet entretien à bâtons rompus, Thierry Amougou que nous avons rencontré à Louvain-La-Neuve en Belgique, s'exprime sur l'actualité en Egypte. Selon lui, l’acte II de la révolution égyptienne ressemble à la tectonique des plaques en géologie. Lisez plutôt

Thierry AMOUGOU Bonjour. Nous aimerions entendre et partager votre point de vue sur ce qui arrive en Egypte. Est-ce la fin de la démocratie dans ce pays ?

Bonjour à vous et à vos lecteurs. Merci de l’occasion que vous m’offrez de partager mon regard avec d’autres Africains. En Egypte c’est moins la fin de la démocratie que le début d’une nouvelle ère politique où le peuple égyptien prend ses pleins pouvoirs. Vous savez, la démocratie est un idéal sociétal que les peuples atteignent via de multiples trajectoires parfois tortueuses. Les fascismes et les nazismes ont bien été des réalités en Occident sans qu’ils annulent indéfiniment la marche décidée des peuples occidentaux vers la conquête de leurs libertés. Autrement dit, ce que l’on érige parfois en reflux ou obstacles démocratiques dans des analyses de courte période ou conjoncturelles n’est très souvent, en très longue période, qu’une poussière dans la marche inéluctable des peuples vers la conquête des leurs libertés individuelles et collectives. C’est pourquoi toute dictature est un rêve puéril et sans avenir.

Qu’une armée prenne le pouvoir après une révolution populaire n’est en outre pas une exception égyptienne. Plusieurs armées ont à travers le monde joué un rôle déterminant et positif dans la construction démocratique de plusieurs pays aujourd’hui considérés comme démocratiques. C’est par exemple le cas en Turquie, au Venezuela et j’en passe. Les armées, soit elles sont muettes, soit elles prennent le pouvoir et se disqualifient comme en Argentine jadis, soit elles permettent des transitions autoritaires vers la démocratie ou ses bases comme au Nigéria.

En Afrique subsaharienne un coup d’Etat, il y a quelques années au Niger, avait pour ambition de rétablir le processus démocratique face à un Président Tandja qui voulait se faire de vieux os au pouvoir. Au Nigéria l’armée est un pion essentiel dans la construction politique et démocratique de ce pays depuis plusieurs années. Sans être pour des hommes en tenue à la tête des Etats africains, il faut savoir que l’armée égyptienne a sorti le peuple égyptien du système féodal jadis en place et a, malgré son embourgeoisement et ses dérives autoritaires sous Moubarak, très souvent incarné tant un lien fort avec les populations qu’une idéologie de libération. Même si la majeure partie des armées africaines soutiennent les dictatures meurtrières en place, une armée peut, dans certaines circonstances, sauver la démocratie en organisant une transition autoritaire grâce à la crédibilité des armes.

Pourquoi cela ne se fait-il pas en Afrique subsaharienne ?

Si vous parlez des révolutions, leur absence en Afrique noire ou encore la non contagion de la fronde populaire d’Afrique du Nord en Afrique noire s’explique par plusieurs facteurs. Premièrement, l’Afrique subsaharienne est plus avancée dans la mise en place des bases du processus démocratique que l’Afrique du Nord qui rata le vent de l’Est des années 1990. Deuxièmement, une pauvreté très prononcée comme cela est le cas en Afrique noire est un blocage à la révolte populaire car ce sont les préoccupations matérialistes élémentaires – manger notamment – qui occupent les esprits. Ceux-ci ne peuvent penser à se révolter pour les droits qu’une fois les ventres pleins. Troisièmement les dictatures subsahariennes sont optimales et donc plus efficaces que celles d’Afrique du Nord car elles fonctionnent en mode accordéon, c'est-à-dire qu’elles laissent les gens parler et ainsi empêchent l’implosion totale liée au fait que personne ne parlait et aucun pluralisme médiatique n’était autorisé en Egypte comme en Tunisie. Quatrièmement, les armées en Afrique noire ne sont pas nées d’un besoin de libération des populations africaines des situations de tutelles mais d’un besoin de conservation des privilèges par l’élite coloniale et ses relais internes. Ce sont des armées qui ont assassiné des héros africains des luttes d’indépendance. Leur fonction fondamentale est donc moins la libération des dominations que la conservation des pouvoirs en place autant que celle des privilèges qui en découlent pour elles-mêmes et pour les anciennes puissances coloniales qui les contrôlent toujours via leurs bases militaires disséminées partout en Afrique noire. Dès qu’une armée d’Afrique noire doit protéger les populations comme cela fut dernièrement la situation au Mali, on se rend compte qu’elle n’existe pas car elle n’a pas été programmée pour cela, n’existe pas pour cela et n’a aucune légitimité dans ce domaine. Quand il faut protéger un pouvoir soutenu de l’extérieur, elle est formée et reçoit des moyens de ceux qui protègent le pouvoir en place : l’armée malienne est en train d’être formée pour cela après l’opération serval.

Mais Monsieur Thierry AMOUGOU, en Egypte c’est tout de même un coup d’Etat contre la démocratie car Mr. Morsi a été élu démocratiquement

Vous avez raison. On peut le voir sous cet angle là car je ne mets pas en doute l’élection démocratique de Mr. Morsi il y a quelques temps. Sous cet angle son éviction de la présidence par l’armée peut être un coup d’arrêt au processus démocratique, un mauvais message dans ce pays-là et dans toutes les autres révolutions arabes.

Nous devons cependant réfléchir au-delà de ce que vous appelez un coup d’Etat contre la démocratie car une situation où un individu élu démocratiquement est vomi quelques temps après par le peuple qui l’a élu doit nous interpeller sur les sources de la légitimité politique et ses composantes. Une première source de la légitimité est l’élection au suffrage universel. Celle-là était bien détenue par Mr. Morsi. Mais ce qui lui arrive est la preuve qu’il ne suffit pas d’être élu par le peuple pour avoir une légitimité complète. Autrement dit, être élu par un peuple non seulement ne vous autorise pas à tout faire, mais aussi se fait sur base d’un contrat démocratique qui doit être respecté. En conséquence la légitimité élective de départ– légitimité première– doit se renforcer par une légitimité des réformes, une légitimité des résultats et une légitimité des décisions prises par rapport au contrat de départ. Lorsque ce n’est pas le cas, le peuple a le droit de vous déposer car fondamentalement la démocratie c’est aussi le peuple surveillant, le peuple veto et le peuple souverain : c’est l’onction populaire qui vous fait roi et c’est son absence ou son retrait qui vous détrône.

Il ne faut donc pas croire que parce que vous êtes élu vous pouvez faire n’importe quoi avec le pouvoir exécutif car vous n’êtes que l’ouvrier du peuple. Dans le même ordre d’idées, ce qui arrive en Egypte montre aussi que la démocratie ce n’est pas uniquement le vote et son moment ritualisé en temps de sanctuarisation de la dictature. Ce n’est pas un électoralisme consacré car entre les votes, la démocratie doit être effective dans la vie des hommes, des femmes et de la Cité. Dans une certaine mesure que le peuple qui élit fasse aussi dégager est pour moi une chose qui marque et respecte l’idéal démocratique des pères fondateurs de cette forme de société. Il faudra désormais exercer le pouvoir en Egypte en sachant que c’est le peuple égyptien qui le donne et que ce peuple peut aussi à tout moment le reprendre dès qu’il vous juge indigne de ce pouvoir.

Oui mais cela fait quand même désordre non ?

Pour moi le premier baromètre de la légitimité d’un pouvoir c’est le ressenti que les populations ont par rapport à lui. Ce ne sont pas ces populations qui créent le désordre mais ceux qui prennent le pouvoir exécutif comme une propriété privée. Ce que fait le peuple égyptien est ce qu’on demande aux citoyens, mieux ce qu’implique la citoyenneté en exercice. On voit la même chose en Turquie, dans les pays occidentaux en pleine politique d’austérité, et actuellement au Brésil face à des Présidents et premiers ministres démocratiquement élus. Cela signifie que la légitimité des urnes n’est pas la seule et qu’elle n’est pas suffisante. Tous ces peuples dans la rue rappellent aux dirigeants leur désaccord et font ainsi un travail crucial pour l’avancée démocratique, c'est-à-dire la notation, la surveillance et la défiance.

Et la révolution ne donne pas une légitimité à Mr. Morsi qui en est issu comme Président ?

C’est une erreur de votre part que de le croire. J’ai la chance d’avoir un collègue à l’Université et dont un des axes de recherche est le bilan temporaire des révolutions arabes. Lorsque je discute avec lui sur ce sujet, il me fait remarquer que les islamistes au pouvoir en Tunisie et en Egypte n’étaient pas favorables à la révolution au départ. Ils s’y sont mêmes opposés car les jeunes Egyptiens et Tunisiens dans la rue revendiquaient des valeurs occidentales jugées par les islamistes incompatibles avec l’Islam. Ce n’est que lorsque les islamistes ont remarqué que la révolution allait déboucher sur de nouvelles élections qu’ils ont pris le relais en faisant ainsi un coup d’Etat au sein de la révolution par détournement des objectifs de départ. C’est ainsi que ceux qui ne soutenaient pas initialement la révolution arabe en ont cueilli les fruits politiques concrets car ils étaient les seules structures organisées de longue date.

Cela étant, le fait que la même rue et les mêmes jeunes débarquent Mr. Morsi est une preuve robuste que Mr. Morsi n’était pas le président de la révolution mais celui via lequel les frères musulmans prirent le pouvoir en détournant les valeurs portées par la jeunesse égyptienne. La greffe n’a pas fonctionné ! C’est ce que montrent les derniers évènements où l’esprit indocile de la révolution refuse d’être embrigadé par des politiques où il est mis en bouteille.

Est-ce donc la fin de l’islam politique dans ce pays ?

Je ne le pense pas car l’Islam est une composante importante, si ce n’est la plus importante de la culture de ce pays-là et de bien d’autres. Autant les partis politiques chrétiens existent toujours dans les pays occidentaux marqués par le christianisme historique, autant les partis islamistes ou tout simplement prenant le Coran comme référence politique existeront toujours en Egypte et ailleurs.

Je vois plutôt autre chose dans ce qui se passe, à savoir le travail de tri culturel que le soutient des pays occidentaux aux dictatures du monde arabe contre l’islamisme n’a jamais permis aux peuples arabes de faire. Je m’explique. Pendant longtemps, les frères musulmans et d’autres partis islamistes ont été réprimés et exclus de la scène politique au profit de régimes dictatoriaux laïcs soutenus par les Occidentaux. Cela a permis aux mouvements politiques islamistes de se construire une identité de martyre, de s’organiser, de se structurer dans la clandestinité et d’apparaître aux yeux des populations arabes comme l’alternative aux problèmes de mal gouvernance, d’absence de liberté et de corruption des dictatures en place. Tant que ces mouvements islamistes n’avaient pas le pouvoir, cette crédibilité potentielle était totale et faisait d’eux des voies de sorties des régimes corrompus et dictatoriaux. C’est ce qui explique qu’ils aient gagné les élections post-révolutions dans de nombreux pays à l’exception de la Libye où les Occidentaux ont mené le processus en dehors du courant politique islamiste. Etant donné que l’on juge le maçon au pied du mur, les blocages en Tunisie par rapport à la Constitution et la préservation des droits des femmes puis le verrouillage progressif des libertés en Egypte par les frères musulmans viennent d’écorner grandement la crédibilité potentielle de l’islam politique. Autrement dit la crédibilité potentielle de ces mouvements religieux ne se transforme pas en crédibilité réelle et permet ainsi aux peuples arabes de voir qui est qui et qui veut quoi par rapport à l’idéal démocratique. Le tri culturel que le soutien occidental aux dictatures avait empêché au sein de ces peuples est, à mon sens, en train de se faire par les révolutions arabes qui ont donné aux islamistes afin qu’ils se rendent compte que gérer un pays n’est pas construite une théocratie totalisante mais permettre à des valeurs différents de pouvoir cohabiter et cheminer vers un projet collectif malgré la diversité des croyances et des acteurs en présence.

Un dernier mot ?

Je dirai que l’acte II de la révolution égyptienne ressemble à la tectonique des plaques en géologie. Après un tremblement de terre, on assiste à des répliques multiples parce que la terre n’a pas encore retrouvé sa structure stable. A mon sens, la société égyptienne et bien d’autres révolutions arabes sont dans cette phase de répliques qui précèdent les structures politiques stables après un big bang politique.

© Propos recueillis par Hugues SEUMO

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