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7 septembre 2013

Cameroun: « Paul Biya, le choix du peuple » Est-il réellement le choix du peuple ? Comment le conçoit « le Biyaïsme ?

Empereur_Biya030909275

Le slogan de campagne du Président camerounais à la dernière élection présidentielle était : « Paul Biya, le choix du peuple ». De quel peuple s'agit-il ? Le peuple acquis à sa cause? le peuple des prébendiers et éternels affamés ou des calculateurs qui rôdent autour du cercle ésotérique du pouvoir de l'homme fort de Yaoundé ? Pous essayer de répondre à ces quelques point d'ombres, nous avons jugé fort indiqué de vous présenter ce que le « Biyaïsme » fait du peuple camerounais d’après Thierry AMOUGOU dans son riche et récent ouvrage. Ci-après, un extrait de son analyse. "L’approche théocratique, l’approche misérabiliste et l’approche ventriloque du peuple camerounais. Il est intéressant d’analyser comment les élites camerounaises de l’intelligence approchent le peuple camerounais dans leurs montages politiques au service de la gouvernance comme consommation et jouissance des privilèges du pouvoir politique.

Une mise en examen du discours de l’élite camerounaise de l’intelligence permet de mieux cerner, non seulement le rapport que celle-ci a avec le peuple camerounais, mais aussi comment elle l’analyse et ce que cela peut donner pour sortir le pays du magma politique dans lequel il se trouve actuellement empêtré. Jacques Fame Ndongo, figure de proue de cette élite camerounaise de l’intelligence, ministre de l’enseignement supérieur, secrétaire à la communication du parti aux pouvoir et chef de village, est le type idéal, tant d’un peuple infiltré du haut à la base de sa structure, que d’un populisme politique qui oscille entre l’approche théocratique du peuple camerounais, l’approche misérabiliste du peuple camerounais et l’approche ventriloque du peuple camerounais. Ces approches surgissent et se succèdent suivant les conjonctures et les intérêts du régime dont il est un des caciques. Même s’il faut placer ses discours dans le cadre de la propagande du parti au pouvoir, il ne faut pas oublier que le discours fait état d’un rapport social (voir Lacan) et que le parti au pouvoir (RDPC), représente, en tant qu’ancien parti unique dominant, un échantillon non négligeable du peuple camerounais, et de la façon dont il est traité historiquement par son élite de l’intelligence.

Pour ce qui est de l’approche théocratique du peuple camerounais, nous avons souvenance des discours de Jacques Fame Ndongo assimilant des Camerounais à des « créatures » du Président Biya qui en devient automatiquement le « créateur » quand il ne devient pas le « dieu terrestre des Camerounais » en opposition au « Dieu du ciel » des chrétiens. Lorsqu’on sait que les Chrétiens doivent une obéissance au doigt et à l’œil à leur Dieu parce que celui-ci les aurait sauvé de l’enfer en devenant homme et acceptant se sacrifier pour eux d’après la Bible, il devient évident que le peuple camerounais, pour Jacques Fame Ndongo, n’a aucun pouvoir comme entité sociale historique créatrice des conditions de son existence. Ce n’est pas un peuple camerounais debout pour faire son histoire mais un peuple camerounais à genoux parce que devant, comme toute « créature », prier son « créateur », le Président de la République. Le peuple camerounais revêt ainsi l’identité d’un conglomérat de « pêcheurs » qui, non seulement n’existeraient pas sans son « créateur » Paul Biya, mais aussi, iraient directement en enfer sans son « sauveur » du pêché, le même Paul Biya. Des discours renvoyant à une telle symbolique ont été prononcés dans les meetings politiques et les médias camerounais sans aucune contestation publique des autres membres de cette élite camerounaise de l’intelligence. Seul un petit groupe d’intellectuels et certains militants du parti au pouvoir se sont plaints et se sont désolidarisés de cette symbolique politique méprisante et infantilisante . Cela est très inquiétant pour la majeure partie de notre élite de l’intelligence car qui ne dit rien consent. Etant donné qu’être créé et être sauvé est socio anthropologiquement plus pesant qu’être le créateur et le sauveur, le peuple camerounais devient une entité qui perd automatiquement son pouvoir contestataire et son rôle de défiance car les exercer équivaudrait, dans un tel état du monde (théocratie), à pêcher et donc, à courir le risque extrême d’aller en enfer. Cette analyse symbolique devient l’incarnation réelle du discours et de la pratique politique d’une autocratie concrète où des manifestations de Camerounais pour contester le pouvoir sont réprimées dans le sang comme en mars 2008. Effectivement, en pareilles circonstances, Paul Biya devient le « dieu terrestre » et le contester, un enfer pour ses « créatures ».

Le-Biyaisme_Thierry_Amougou

L’approche misérabiliste du peuple camerounais peut aussi être conceptualisée en exploitant les discours du même ministre, tenez-vous tranquilles, de l’enseignement supérieur ! Dans cette approche, des Camerounais sont tout simplement assimilés à des « esclaves » du Président Paul Biya lors de certains meetings du RDPC. Or, dans une Afrique ayant connu la traite négrière et la colonisation, le terme esclave est lourd de sens parce que tristement célèbre dans notre imaginaire collectif. Il n’y a pas mieux qu’un Africain pour imaginer les contours et les formes que prennent sa condition au monde une fois qu’il est fait esclave : un esclave est une chose pour son propriétaire. Il n’est pas un sujet mais une chose qui respire et peut travailler sans que ni son corps, ni sa force, ni son travail, ni le fruit de son travail et encore moins sa vie ne lui appartiennent un seul instant. Ils appartiennent à son maître qui, dans le cas d’espèce, ne peut être que Paul Biya si nous suivons la logique du raisonnement de son ministre de l’enseignement supérieur. Pas de surprise qu’il en soit ainsi dans une autocratie car, sous l’esclavage gît toujours la question du pouvoir et de son inégale répartition dans une société. La relation maître-esclave fournit le modèle le plus pur et le plus absolu du pouvoir .

L’approche misérabiliste du peuple camerounais est donc celle-là qui fait du peuple des « esclaves » du Président de la République au pouvoir absolu. Encore une fois, le ministre Jacques Fame Ndongo, sans le savoir, montre au monde, par le biais de son discours et du rapport aux Camerounais qu’il traduit, la nature dictatoriale profonde du pouvoir qu’il sert. Son discours revêt la structure type de celui d’un maître à ses esclaves au point de rappeler les tristement célèbres « Mobutu le créateur », « Mobutu le bâtisseur » et « Mobutu le sauveur » des Zaïrois. La fin de l’histoire est connue de tous ainsi que le sort des Zaïrois abêtis par la danse et les louanges destinées à leur dieu terrestre. Mais l’esclavage est-il nouveau au sein du Renouveau National lorsqu’on sait qu’au 21ème siècle, le lamido de Rey-Bouba a encore à son service des esclaves qu’il peut traiter comme bon lui semble surtout si ceux-ci votent contre le RDPC ?

D’où l’existence d’une approche ventriloque du peuple camerounais plaçant celui-ci dans la place de la marionnette face au marionnettiste : qui d’autre peut faire bouger la marionnette que le marionnettiste ? Qui d’autre peut parler pour les esclaves que leur maître ? Une fois que les Camerounais sont devenus des « créatures » et des « esclaves » du Président de la République, ils n’ont plus droit à la parole car ce sont le « créateur » et le « maître » qui parlent pour eux au point où le peuple camerounais devient ventriloque : ce sont les lèvres de Jacques Fame Ndongo et d’autres membres du gouvernement qui bougent et leurs bouches qui s’ouvrent quand le peuple camerounais parle. En conséquence, le passage de l’intimité à l’espace public ainsi que la transformation de sujet en objet de ce peuple, se font par la voix du gouvernement qui prétend ainsi en incarner toute la quintessence d’acteur politique. Le peuple camerounais dont les lèvres immobiles et la bouche fermée produisent un son et une signature politique à travers la voix du gouvernement et celle du parti au pouvoir, incarne, dans cette logique, l’interdit qui lui est faite, par le régime politique en place, d’incarner l’essence du pouvoir politique :
« la marionnette s’anime sous le récit, comme une ombre qu’on ressuscite en lui racontant tout ce qu’elle a fait et qui, peu à peu, de souvenir devient présence. Ce n’est pas un acteur qui parle, c’est une parole qui agit ».

Le peuple camerounais fait ainsi fonction d’objet transactionnel entre les membres du gouvernement et le Président de la République par le fait qu’il incarne une réalité fictive qui inspire confiance à la fois aux manipulateurs et au Président lui-même. (A suivre)

NB : Le livre dont est issu cet extrait est commandable via n’importe quelle librairie ou chez l'Harmattan sur ce lien

1-BOYOMO (G.A.), 2011, « Présidentielle 2011 : le soutien à Paul Biya enflamme l’université », Mutation.
2-TESTAR (A.), 2001, L’esclavage la dette et le pouvoir, Errance, Paris.
3-CLAUDEL (P.), 1974, Connaissance de l’Est, Gallimard, Paris. p. 195

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