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28 novembre 2013

Belgique - Cameroun, livre: Rencontre avec Thierry Amougou,auteur de "la Démocratie de combat en Afrique Centrale"

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Thierry AMOUGOU, Macro économiste est professeur d’universités, membre du GRIASS (Groupe de Recherche Interdisciplinaire sur l’Afrique Subsaharienne), du CriDis (Centre de Recherche interdisciplinaire, Démocratie, institutions, subjectivité), Fondateur/animateur du CRESPOL (Cercle de Réflexions Economiques, Politiques et sociales) et ancien Président de la Fondation Moumié. Auteur de nombreux ouvrages, c’est l’un des intellectuels camerounais les plus prolifiques de sa génération. La rédaction de camer.be lui a tendu son micro après la publication de son dernier ouvrage afin d’en connaître le contenu et la portée sociétale. Lisez plutôt cet entretien...

Bonjour Thierry AMOUGOU, vous vous faites rare dans les médias avez-vous laissé tomber le combat pour la mémoire au sein de la Fondation Moumié ?

Bonjour à vous et merci de me permettre de causer avec nos compatriotes. C’est toujours un réel et grand plaisir que de le faire de temps en temps. Votre question de départ, malgré son importance, me semble aussi être la conséquence du fait que nos pouvoirs africains sont si personnalisés que lorsqu’une figure arrive à manquer à l’appel, on pense que c’est la fin du monde, la fin du pays, la fin d’un combat. Je ne suis pas la Fondation Moumié, mais un Camerounais membre fondateur de cette Fondation qu’il a présidée pendant un temps. La Fondation Moumié est toujours en vie. D’autres personnes sont à sa tête avec d’autres idées, d’autres énergies et d’autres façons de travailler.
Etant donné qu’il n’y a rien de plus réel et éternel que la vie de Félix Moumié et son élimination ignoble par les forces de la domination toujours en place de nos jours, le combat pour sa mémoire ne peut dépendre d’un individu fût-il votre humble serviteur. Ce combat existera dans la Fondation Moumié et en dehors d’elle tant que la terre des hommes existera car ce qu’a subi Moumié en son temps est subi aujourd’hui par d’autres Africains dans plusieurs domaines. Je dis ce travail de mémoire se fait aussi en dehors d’elle car il y a dernièrement eu des cérémonies en Suisse et en France qui ne sont pas de la Fondation Moumié mais vont dans le même sens. C’est un combat qui continue avec la vie car il cherche à rendre réelle une vie africaine digne de ce nom.
Les récentes cérémonies commémoratives de l’armistice à travers le monde occidental sont des preuves que la mémoire active joue un rôle très important dans la construction des nations et leur consolidation contemporaine. Elle fait partie de l’humus qui en fertilise le sol afin que les racines patriotiques s’y enfoncent encore plus profondément.
La Fondation Moumié, du moins, celle que j’ai dirigée, a posé les bases d’une telle culture politique pour l’Afrique dont la douloureuse et valeureuse mémoire est patrimoine à capitaliser pour la consolidation panafricaine. Ce n’est donc pas une affaire de personne, mais une dynamique collective à rendre pérenne, c'est-à-dire vivante, fonctionnelle même sans les personnes initiales, et indépendante des partis politiques. Ce dernier aspect est pour moi très important car Moumié et ses camarades ont fait le sacrifice suprême pour le Cameroun en donnant leur vie pour la cause de ce pays. Tout comportement opportuniste par rapport à cette mémoire sera dénoncé par moi avec la dernière énergie.

Vous parlez de combat par rapport à la mémoire de Félix Moumié et vous venez de publier aux éditions universitaires européennes un nouveau livre qui s’intitule la démocratie de combat en Afrique centrale.

Pouvez-vous expliquer ce que signifie ce titre qui semble être tout un programme ?

Vous voyez, ce que je viens de vous dire alimente immédiatement la réponse à cette deuxième question. « La démocratie de combat en Afrique centrale », titre principal de mon récent livre a, grosso modo, trois significations fondamentales liées respectivement au temps contemporain, au temps historique et au temps mythologique :

1. Le temps contemporain
L’Afrique du dehors et du dedans est aujourd’hui un théâtre de combats incessants entre ses propres fils pour la conquête du pouvoir, chacun avec ses soutiens extra- africains. Même si mon livre ne concerne que l’Afrique centrale, ce qui se passe actuellement en RDC et en Centrafrique, les évènements récents en Côte d’Ivoire, au Kenya et au Mali, ou encore les escarmouches récurrents au Tchad et au Congo Brazzaville, sont, d’une certaines façon, une démocratisation du combat violent, sanglant et meurtrier comme modalité d’accès au pouvoir suprême et de sa conservation. « La démocratie de combat en Afrique centrale », titre de mon dernier livre, revêt ce premier sens-là car la démocratisation de la vie bonne par l’instauration d’une démocratie réelle est battue en brèche par celle des combats de vie et de mort entre leaders, leurs soutiens populaires et leurs soutiens institutionnels externes. Sans faire référence explicitement à Moumié dans mon livre, cette première approche de la démocratie de combat est le signe que l’Afrique est toujours majoritairement dans une dynamique politique dont il a voulu la sortie par le haut.

2. Le temps historique
« La démocratie de combat en Afrique centrale » a aussi un sens/dimension historique. Le deuxième sens de ce titre nous a été inspiré par Frantz Fanon dans son ouvrage « Les damnés de la terre ». Fanon, un de mes auteurs préféré, soutient dans ce livre devenu un classique de la lutte d’émancipation que l’homme est libre via le combat. Cela me semble une vérité et une réalité historique car construire le système démocratique en Occident a été un combat de longue haleine entre élites dirigeantes nantis et masses populaires démunies au même titre qu’avoir le droit de vote ou l’instauration du vote des femmes. Rien de ces éléments de liberté ne s’est obtenu sans combats violents et meurtriers s’étendant parfois sur plusieurs dizaines d’années tant en Europe qu’en Amérique latine. De même, se débarrasser des nazismes et des fascismes en Occident s‘est fait via le combat suprême, la guerre. La guerre d’Indochine et la liberté au bout, la guerre d’Algérie accoucheuse d’un peuple algérien libre et la révolution cubaine, sont d’autres faits historiques qui, entre autres, montrent que la sortie des situations de dominations, de tutelle ou du joug colonial est une affaire de combats multiples et divers qui, parfois débouchent sur la politique autrement, c'est-à-dire la guerre. Cela démontre, non seulement que la stratégie de l’UPC ne fut pas mal pensée mais aussi qu’en dehors de cette forme suprême du combat politique qu’est la guerre, la démocratie et toutes ses promesses et acquis sociaux se réalisent via des combats citoyens, civiques, politiques, sociaux, économiques et militants. C’est dans cette veine politique-là que se situèrent Um Nyobè, Lumumba, Félix Moumié, Thomas Sankara et bien d’autres grandes figures africaines entrées en résistance face aux pouvoirs coloniaux et postcoloniaux. Dès lors ce qu’j’appelle la démocratie de combat est aussi cette démocratie-là qui non seulement se conçoit, se construit et s’incarne par et dans la liberté des combats citoyens de diverses formes, mais aussi se nourrit d’eux dans un chassé-croisé incessant et sans fin. Le combat politique suprême, c'est-à-dire la guerre n’est pas sa forme la plus courante mais sa forme de crise car elle intervient lorsque ce chassé-croisé est bloqué par une dictature. C’est la voie citoyenne et civique de la démocratie de combat comme solution aux problèmes africains historiques qui me semble la plus indiquée pour l’Afrique centrale en particulier et l’Afrique en générale. C’est quand on y arrive pas que la guerre intervient autre dimension de cette démocratie de combat car la guerre est aussi une critique de la société.

3. Le temps mythologique
La troisième dimension de ce titre est mythologique car cette dimension provient du Mvet, mot qui, en langue fang, du Cameroun, du Gabon, de la Guinée Equatoriale, de la Centrafrique et du Congo Brazzaville, désigne à la fois une espèce de harpe cithare, son joueur et les épopées des peuples bantous qu’il déclame devant une assistance qui reprend les refrains en tapant dans ses mains. Le combat y est permanent car les contentieux liés à l’accès aux femmes, aux ressources, aux territoires et aux biens de toutes sortes se règlent très souvent via un choc de titans défendant et représentant chacun son peuple : c’est un combat de « gladiateurs » qui fonde mythologiquement la démocratie de combat.
Je mets tout cela ensemble pour comprendre et expliquer l’Afrique centrale politique et économique.

Quels sont les liens et les conséquences entre la dimension mythologique, la dimension historique et la dimension contemporaine de la démocratie de combat ?

Les liens sont multiples étant donné que nous sommes dans une analyse inter temporelle où les trois temps que je viens d’évoquer interviennent avec leur imaginaire politique et le type de pouvoir qui en découle. La dimension mythologique de la démocratie de combat fonde à la fois la dimension contemporaine et de celle-ci et les deux versants (guerre/combats civiques et citoyens) de sa dimension historique en Afrique centrale.
Il ne faut jamais oublier que la démocratie doit être appréhendée comme un solution/réponse à des problèmes que connaissent des sociétés. Elle n’est pas une chose qui est tombée du ciel en Occident mais une réponse à des problèmes sociétaux qui s’y posèrent dès l’antiquité grecque où elle vit le jour. La forme civique, militante et citoyenne du combat bat de l’aile aujourd’hui en Afrique parce que la dimension historique de la démocratie de combat s’est fourvoyée aux lendemains de la décolonisation en laissant le combat pour la négociation avec les forces de l’occupation. Houphouët Bobigny et Ahidjo ont, parmi tant d’autres, choisi cette voie-là en perdant ainsi la boussole des combats à continuer pour la liberté. Conséquence, nous sommes dans la négation de la vie tous azimuts via la libéralisation des combats meurtriers pour l’accès au pouvoir et à ses privilèges. Au lieu d’avoir le combat citoyen, militant et civilisé par le deuxième aspect (débats politiques, opposition pacifique, manifestations, revendications, grèves), nous avons le combats destructeurs négateurs de la vie.
Je mets en dialogue tous ces aspects dans le livre tout en les analysant en profondeur.

Quel est le rapport entre ce titre principal et le sous titre suivant : Mvet, Christianisme, Démocratie et rente économique font-ils bon ménage ?

Le livre démontre, non seulement comment il est difficile de mettre en cohérence temps, contenu et imaginaire mythiques (Mvet, christianisme), temps, contenu et imaginaire historique (Christianisme, démocratie, économie de rente) et temps, contenu et imaginaire contemporains (Christianisme, démocratie, économie de rente), mais aussi toute la nécessité qu’il y a à le faire pour construire à la fois l’Etat puis la nature du pouvoir de celui qui le dirige : plusieurs modes et types de combats en résultent. J’analyse aussi des esquisses de leurs ruptures futures comme leurs conséquences.

Ce livre parle du syndrome du Christ qui frapperait les héros africains. Qu’est-ce que c’est concrètement ?

Il faut entrer dans l’analyse pour comprendre complètement ce que cela veut dire. Je peux juste dire ici qu’il s’agit d’un constat historique qui met en évidence le fait que comme le Christ, toute proportion gardée, les leaders africains qui veulent sauver leurs peuples de la domination occidentale trouvent malheur en chemin car trahis par leur compatriotes de connivence avec les forces de la domination. Le Christ a subi la même chose. Il y a d’autres aspects de ce syndrome à découvrir dans le livre…

Vous évoquez aussi la difficulté de s’opposer dans un univers où le sexe de l’homme est un bâton de commandement, où les aînés ont d’office raison sur les cadets et l’ethnie sur l’Etat. Pouvez-vous être plus explicite ?

Je pense que votre question est déjà assez explicite car elle pose la question de la place et du rôle de l’ordre de priorité entre ces choses-là et le débat démocratique qui implique des oppositions et de filiations. J’analyse cette problématique en profondeurs dans ce livre.

A quand un livre sur l’économie camerounaise ?

Il y a dans ce livre l’analyse des économies de rentes centre- africaines en corrélation avec leurs sous-bassement mythiques, historiques et contemporains dans la mondialisation. C’est de l’économie encastrée dans une civilisation car il ne faut jamais oublier qu’elle (l’économie) a pour objectif de fournir à la cité les biens et services dont elle a besoin et non d’en devenir la chose qui décrit et oriente le sens de la vie.
Vous savez je fais l’économie chaque jour à l’université et c’est la chose que je connais le mieux au monde. Je ne suis qu’au début de ma carrière et mon cerveau n’a pas été privatisée par l’économie au sens classique de ce terme mais séduit par d’autres choses aussi en dehors d’elle. D’autres livres arrivent et, si Dieu nous prête vie, il y en aura beaucoup sur l’économie camerounaises et surtout sur les économies africaines. Celui-ci le fais déjà dans une certaines mesure. Pour le moment je suis dans le combat démocratique qui se mène aussi via des analyses du champ politique africain. Que ceux qui veulent des livres non d’économie mais sur les économies africaines prennent leur mal en patience. Ils vont être servis et j’espère en retour qu’ils seront lus.

Un dernier mot ?

Juste inviter ceux qui veulent comprendre l’Afrique centrale autrement à lire ce livre. Le livre comporte une postface écrite par un africaniste belge, postface qui vaut le détour car nous discutons de façon assez franche du continent noir dans son ensemble. Merci à vous de m’avoir donné la parole, bonne lecture à tous et à toutes.

Democratie_De_Combat_En_Afr


Details du Livre:

ISBN-13: 978-613-1-58413-8
ISBN-10: 6131584133
EAN: 9786131584138
Langue du Livre: Français
Nombre de pages: 188
Publié le: 19.11.2013
Catégorie: Sociologie politique
Prix: € 64,90

Editions universitaires europeennes

Propos recueillis par Hugues Seumo.

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