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11 juillet 2014

Cameroun,Hausse des prix de l’essence et du gaz au Cameroun : les clés pour comprendre avec Thierry Amougou

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Le langage des économistes est souvent mystificateur. Dans un objectif de vulgarisation et d’éclairage de réalités qui semblent parfois compliquées au non spécialiste, nous avons demandé à Thierry AMOUGOU de donner des clés de lectures à nos lecteurs. C’est une véritable leçon de politique économique où l’auteur propose une règle d’or à l’Etat camerounais et affirme que le gouvernement camerounais compte sur l’illusion monétaire pour désamorcer la grogne et la crise sociale.

Bonjour Monsieur Thierry Amougou. Sans plus tarder, nous aller passer au vif du sujet. Qu’est-ce que l’inflation et quelle est sa cause dans le cas du carburant et du gaz ?

Bonjour à vous.Pour faire simple, l’inflation est une hausse des prix, mieux du niveau général des prix. Elle peut avoir plusieurs causes techniques dont l’évocation n’est pas nécessaire ici. En ce qui concerne le Cameroun la hausse des prix du carburant et du gaz vient s’ajouter à celle déjà présente des prix des denrées de première nécessité. La hausse des prix du carburant et du gaz correspond à une hausse d’impôts car l’inflation est un impôt sur le pouvoir d’achat des Camerounais. Le prix du carburant est constitué en grande partie de taxes qui financent le budget de l’Etat. En conséquence la hausse du prix du carburant est une hausse des taxes que l’Etat prélève sur les consommateurs camerounais.

Quels sont les effets possibles de cette inflation sur les populations camerounaises ?

L’inflation a le même effet sur nos encaisses réelles que celui qu’a le soleil sur la neige. Cela pour dire que l’effet de l’inflation sur les populations est simple et classique. L’inflation entraîne une hausse des prix qui diminue le pouvoir d’achat de l’argent que vous avez dans votre poche, dans votre compte ou dans votre bas de laine. Si avec 100 FCFA vous achetiez quatre doigts de banane à raison de 25 FCFA le doigt, vous n’achèteriez plus que 2 doigts de bananes si le prix du doigt de banane passe de 25 FCFA à 50 FCFA. C’est la même logique pour le gaz et le carburant. Les ménages les plus modestes vont devoir diminuer leur consommation ou renoncer à consommer certaines choses via un arbitrage au profit du plus vital dans le temps.

Un autre danger tout à fait possible est le possible basculement du pays dans une spirale inflationniste car chacun va essayer de compenser son manque à gagner en termes de pouvoir d’achat par une hausse des prix dans son domaine d’activité. Vous savez, l’essence, ses produits dérivés et le gaz sont centraux dans les coûts de production de nombreux secteurs qui auront tendance à répercuter la hausse des prix dans leurs propres prix de vente afin de reconstituer leurs marges bénéficiaires. La preuve en est que le syndicat camerounais des chauffeurs de taxi a déjà augmenté le prix du taxi. Or, si la Bayam-Sellam paie le taxi plus cher pour se rendre au marché avec ses produits, alors elle va les vendre plus chers à celui qui tient un restaurant qui, lui-même, va vendre ses plats plus chers à ses clients et ainsi de suite.

D’autres conséquences existent. Les créanciers par exemple se font rembourser dans une période où ce qu’on leur doit ne vaut plus la même chose qu’avant suite à la hausse des prix. Les investisseurs sont frappés négativement car ils n’ont pas anticipé cette hausse des prix dans leurs commandes déjà lancées. On peut même aussi assister à une baisse d’activité globale car les transporteurs par exemple peuvent perdre de l’argent en travaillant. Dans ce cas, « trop d’impôt tue l’impôt » et le chômage élevé s’ajoute à l’inflation élevée pour donner lieu à un autre phénomène qu’on appelle la stagflation en économie. Enfin, cette hausse des prix peut développer encore plus le marché parallèle des produits pétroliers frelatés.

Le ministre Tchiroma dit que le Cameroun subventionne les prix des carburants et vend aux Camerounais en deçà du prix mondial. Comment pouvez-vous dire que cette hausse des prix est un impôt ?

Pour le comprendre il faut signaler qu’il existe en économie quelque chose qu’on appelle l’équivalence ricardienne dans l’analyse de la dette de l’Etat. Cette équivalence ricardienne veut dire que les créanciers d’aujourd’hui sont les débiteurs de demain. Le fait que le gouvernement camerounais subventionne le prix du carburant veut dire qu’il finance la baisse des impôts aujourd’hui par un déficit budgétaire demain et que ce sont les populations camerounaises qui, demain, devront payer les impôts pour que l’Etat puisse rembourser sa dette. Subventionner le prix des carburants aujourd’hui n’est qu’un transfert dans le temps futur d’une hausse d’impôts sous forme de hausse des prix que nous connaissons actuellement. C’est ce qui se passe au Cameroun car ce que l’Etat a fait semblant de transférer d’une main aux populations à la suite des évènements de février 2008, est repris aujourd’hui d’une autre main sous forme d’impôts pour combler son manque à gagner depuis cette date-là.

Ceux qui accusent le gouvernement camerounais d’irresponsabilité ont-ils tort étant donné que ce même gouvernement a augmenté les salaires ?

L’irresponsabilité tient ici au fait qu’il y a déjà une hausse des prix des denrées de premières nécessité à laquelle s’ajoute celle du carburant et du gaz, ressources centrales dans la vie des populations. Le gouvernement camerounais le sait. C’est pourquoi il compte sur le phénomène d’illusion monétaire pour désamorcer la grogne et la crise sociales. Il y compte d’autant plus que le taux d’augmentation des prix est supérieur à celui de la hausse des salaires.

L’irresponsabilité tient aussi au fait que ceux qui travaillent au Cameroun et perçoivent un salaire sont non seulement minoritaires, mais aussi pas uniquement les seuls à utiliser le gaz et le carburant. Les paysans et les chômeurs le font aussi. Comment est-ce que le gouvernement compense la hausse des prix sur ceux-là étant donné que les mesures d’accompagnement ne font pas le poids dans ces catégories sociales ?

Vous parlez d’illusion monétaire. Qu’est-ce que c’est question d’éclairer nos lecteurs ?

Vous savez la psychologie joue beaucoup en économie dans la compréhension des comportements des populations. L’illusion monétaire est tout simplement le phénomène suivant lequel les travailleurs se pensent très souvent plus riches après une hausse des salaires et une hausse des prix parce qu’ils évaluent leur salaire en termes purement nominal (nombre de FCFA gagné) et non en termes réels (ce que le nombre de FCFA que nous percevons comme salaire peut effectivement acheter). En conséquence nous sommes tous très souvent frappés d’illusion monétaire car nous évaluons inconsciemment notre salaire en terme nominal et non en tenant compte de la hausse générale ambiante des prix qui le diminue. Le gouvernement camerounais compte sur cette illusion monétaire parce que la hausse des salaires, si minime soit-elle, fera oublier aux travailleurs la hausse des prix qui la précède. Ce n’est pas un hasard si l’ordre des annonces a d’abord tenu à rendre publique la hausse des prix de l’essence et du gaz puis après celle des salaires. Le but recherché est que ce soit la dernière annonce qui reste dans les esprits et efface la première : le deuxième effet d’annonce doit effacer le premier dans la mémoire des Camerounais. Cette séquentialisation dans le temps des deux annonces du gouvernement est donc au service du renforcement de l’illusion monétaire. Mais j’ai bien peur que la réalité de la vie des fonctionnaires, des paysans et des chômeurs ne soit plus forte que cette illusion monétaire.

D’autres Camerounais fustigent non le gouvernement camerounais mais le FMI et la Banque mondiale. Qu’en pensez-vous ?

Même si je peux comprendre ces Camerounais-là par rapport au rôle prépondérant et pas toujours positif du FMI et de la Banque mondiale dans les politiques économiques des pays africains, il est important de noter qu’ils sont inconséquents. Lorsque le Cameroun devient PPTE et atteint le point d’achèvement, c’est aussi une mise sous tutelle de ses finances publiques qui en est la conséquence immédiate. Être surpris après par l’action du FMI devient donc pour moi une inconséquence majeure. Lorsque le gouvernement camerounais fait la fête parce que les fonds PPTE arrivent au pays, il faut savoir que le prix à payer en contrepartie de ces fonds est la perte d’autonomie de sa politique budgétaire dont font partie les taxes. Ce n’est pas le FMI et la BM les seuls responsables mais aussi et surtout ceux qui dans notre pays sont d’accord avec eux mais trompent les populations en disant que les responsables sont le FMI et la BM.

Est-ce avec une telle navigation à vue que la Cameroun réalisera son émergence économique en 2035 ?

Vous avez raison de parler de navigation à vue car aucun pays émergent n’a été dans son passé un PPTE. Pour l’économiste que je suis mettre bout à bout PPTE et émergence économique est une contradiction dirimante dans les concepts et les réalités qu’ils traduisent. L’émergence du Cameroun est actuellement un pur slogan incantatoire.

Comment pouvez-vous lire politiquement cette inflation des prix de l’énergie au Cameroun ?

On paie les impôts par ce qu’on participe à la vie de la Cité et on participe à la vie de la Cité parce qu’on paie des impôts. Payer les impôts est toujours problématique dans un pays sans démocratie et sans participation des populations car on ne sait pas pourquoi on les paie. En outre, dans un Cameroun où les détournements de fonds sont la pratique publique la mieux partagée, il est fondamental de noter que les populations se font ponctionner par l’Etat dont les caisses sont ensuite vidées par ses hauts responsables. En conséquence, l’impôt au Cameroun devient signe d’un Etat raquetteur des populations car les Camerounais paient les impôts puis ministres, directeurs et autres hauts responsables vident les caisses de l’Etat.

Que pouvez-vous proposer à l’Etat camerounais ?

C’est une vaste question qui ne concerne pas seulement l’énergie et les matières premières mais une stratégie globale de développement dans une sous-région.

Premièrement, si le Cameroun est d’accord avec moi que le développement économique a besoin d’un climat social paisible, alors je lui conseille d’adopter une règle d’or qui consiste, à chaque décision qui érode le pouvoir d’achat des populations, en un arbitrage entre le coût économique d’un déficit public de court terme et le coût social et politique de long terme d’une révolte sociale et populaire. La crise sociale et politique que peut provoquer l’inégalité et l’injustice dans une société peut être très profonde, durable et destructrice comparativement à un déficit public qui peut par ailleurs avoir une dynamique de relance car un déficit budgétaire n’est pas toujours incompatible avec une relance économique alors qu’une politique aveugle d’austérité peut le renforcer et aggraver la situation. Adopter une telle règle d’or me semble plus pertinent que compter sur l’action de l’illusion monétaire.

Deuxièmement, Issa Tchiroma parle d’un prix international supérieur au prix national pour ce qui est de l’essence et de ses produits dérivés. Il serait peut-être plus indiqué, si on s’occupe du bien-être des populations camerounaises – et suivant la règle d’or que je propose –, que l’approvisionnement du marché local soit prioritaire dans la production camerounaises des hydrocarbures. On ne doit penser à l’international que si on a un surplus à exporter pour profiter de ce prix international plus élevé ou un déficit à compenser dans la demande nationale. Une politique nationale du pétrole et de ses produits dérivés doit chercher à tirer profit des prix internationaux pour le bien-être des populations camerounaises et non à s’aligner sur les prix internationaux qui obéissent à de la spéculation multiforme une fois que le pétrole devient une valeur refuge face à la baisse du dollar, quand il y a crise au Moyen-Orient ou quand l’OPEP agit comme cartel pour manipuler les prix en sa faveur.

Troisièmement, une autre chose que je peux signaler est que le Cameroun est un petit producteur de pétrole entouré dans la sous-région de grands producteurs, du moins sur l’échelle africaine : Nigeria, Tchad, Gabon, Guinée Equatoriale. Il est surprenant que ces pays, dans l’objectif d’améliorer d’abord la vie de leurs populations, ne créent pas un marché sous régional où ils pratiquent des prix abordables pour leurs populations. Ils peuvent mettre sur pied un stock régulateur qui permet d’éviter de grandes fluctuations de prix dans ce marché sous régional. Ce stock régulateur peut faire des bénéfices lorsque le prix sous régional est plus bas que le prix international et compenser le manque à gagner lorsque le prix international est plus bas que le prix sous régional. Je pense que cela n’a jamais été tenté et qu’il faut que le Cameroun travaille dans ce sens. Un tel système a la double qualité de pouvoir être profitable à la fois économiquement et socialement même si la grande question qui me vient l’esprit par rapport à cette proposition est celle de savoir si le pétrole des pays africains appartient réellement aux pays africains ou aux multinationales occidentales.

Quatrièmement, si je considère le fait que le pays est un pays plus à l’aise sur le plan agricole que le Nigéria, le Gabon et le Tchad, alors on peut imaginer autre chose, une forme de troc moderne pétrole contre nourriture. Je le dis parce que le secteur pétrolier a détruit le secteur agricole au Nigeria, au Gabon et est en train de le faire au Tchad à un tel niveau que ces pays sont importateurs nets des produits agricoles. C’est un phénomène que les économistes appellent le syndrome hollandais, pays où il fut mis en évidence en premier. Le Cameroun peut créer des flux et reflux d’échanges entre lui le Gabon, le Tchad et le Nigéria afin que ces pays approvisionnent le marché camerounais de produits pétroliers quand le Cameroun approvisionne leur marché de produits agricoles à des tarifs d’amis convenus entre Etats. C’est à ceux qui dirigent notre pays de penser à ce genre de choses car c’est d’abord une démarche politique active qu’il faut à la base de tels arrangements.

Enfin, je finirai en disant que la base de la vie c’est l’eau. Cherchons d’abord à donner de l’eau potable aux populations camerounaises ainsi que de l’électricité à la maison et dans les hôpitaux. L’émergence économique sans ce minimum vital est tout simplement de la rigolade.

Interview réalisée par Hugues SEUMO

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