Cameroun : Professeur Kapet de Bana "Nous continuons l’œuvre de Moumié, de Um Nyobé, de Ouandié, de Ossende Afana, etc."

Africaniste de la première heure, Président fondateur de la Ligue Camerounaise des Droits de l'Homme ,Professeur d’Université, Économiste, Juriste comparatiste, Sociologue, Expert Consultant en Droits de l’Homme, ancien Doyen des Facultés de Droit et des Sciences Économiques, Chargé des affaires diplomatiques au sein du CODE, le doyen Kapet de Bana est à lui seul une bibliothèque savante et vivante. Monsieur Kapet de Bana a fait partie de la première délégation qui a représentée le Cameroun aux Nations Unies en 1961. Aussi, il a passé des années en  prison comme prisonnier politique en Guinée Conakry. Il est de ceux qui ont vu pour la dernière fois  le Docteur Félix Moumié avant son assassinat. Rencontré à Genève le 3 novembre dernier à l’occasion des cérémonies relatives au Prix Moumié, c’est avec plaisir que le plus ancien réfugié politique camerounais et auteur de la « Trilogie » et du « Kapetisme »  répond à nos questions  .

Le 3 novembre 2007, de nombreuses personnes ont commémoré le 47ième  anniversaire de l`assassinat de Félix Moumié. Quel regard le combattant de la première heure que vous êtes et qui a connu le leader historique de l’UPC et le mouvement nationaliste au Cameroun jette sur cette commémoration et sur le message politique de  Félix Moumié ?

Je suis fier que ce soit les journalistes de votre génération que vous représentez si brillamment et si patriotiquement, qui m’interviewes sur la situation de notre pays après plus de 50 ans de gouvernement néocolonial corrompu sanguinaire qui mine notre peuple et notre jeunesse victimes des crimes dont la nature n’a pas changé depuis que les Um Nyobé et les Moumié ont pris les armes pour la libération et la paix.

En effet, c’est plus précisément en 1953 que la première génération du Lycée Général de Hauteclocque matraquée, se révoltait contre les méthodes de torture coloniale. Et 50 ans après, votre génération est victime des mêmes méthodes. Un simple regard statistique que nous faisons quotidiennement des victimes scolaires et universitaires dans les écoles et sur les campus de Douala, de Dschang, de Yaoundé, de Buea, et plus récemment, à Akonolinga, est sans commentaire par rapport à l’atrocité de la police politique du système criminel néocolonial corrompu de Paul BIYA.

Aussi, le Prix de MOUMIE qui en est mort, inaugure et actualise le message que les héros tombés au champ de bataille pour la libération et l’indépendance nous ont laissé pour que votre génération dont vous êtes, à mes yeux, l’incarnation pour la continuité puisque vous faites partie des membres du Comité national ayant préparé cet événement pour que le message soit intergénérationnel par rapport à vous et moi, témoin et gardien de la mémoire historique et que nous transmettons à l’aide de ce Prix.

Lors des cérémonies de la remise solennelle du Prix Moumié à son premier récipiendaire Camille Parfait MbouaMassok, vous  vous êtes levé alors que les autres membres du CODE étaient assis. Que vouliez-vous signifier exactement?

Par rapport à ta deuxième question sur ma position debout entre le secrétaire exécutif du CODE, Brice Nitcheu et le biographe Tchana Jean Baptiste, je ne pouvais proclamer le Prix, comme vous l’avez souhaité, qu’étant debout au nom du peuple et pour incarner la souveraineté et la légitimité de la mission que vous m’avez confiée, pour la solennité de la circonstance, en raison du lieu et du moment.

Vous êtes réputé pour vos travaux sur les droits de la personne et de la démocratie en Afrique, auteurs de plusieurs encyclopédies, et aujourd’hui avec le Code vous avez initié la création d’une fondation dite Fondation Moumié. De quoi s’agit-il exactement ?

Par rapport à la Fondation MOUMIE que la Ligue Camerounaise des Droits de l’Homme a depuis plus de 10 ans élaborée dans le cadre de la grande Fondation nationale dénommée : « Fondation Nationale des Droits de l’Homme et des Libertés »  en vue d’accueillir, d’organiser et de gérer tout ce qui a trait à la mémoire et à l’œuvre de l’histoire de la libération et de l’indépendance de notre pays que, le moment venu, nous panthéoniserons pour la reconnaissance de la patrie envers tous ses libérateurs, toutes générations confondues.

Effectivement, c’est depuis Genève que nous avons promis d’y travailler activement pour mieux informer notre peuple comme l’ensemble du monde intéressé à l’histoire du Cameroun. Aussi, nul mieux que vous, qui êtes à la fois acteur et témoin, désormais compagnon le plus actif et le plus avisé de toutes ces initiatives, ne peut en expliquer toutes les tournures, y compris toute la pertinence. Aussi, le CODE, qui a inscrit le Prix MOUMIE comme élément d’inauguration de cette Fondation, considère qu’elle est la mieux à même de gérer au plan national ces opérations de prix. C’est la seule structure nationale incontestablement fiable et viable d’après les félicitations que nous avons reçues depuis que les textes fondateurs sont lisibles au site Internet de la Ligue Camerounaise des Droits de l’Homme : http://africa.smol.org

Quelle analyse faites-vous de la situation politico sociale en Afrique aujourd’hui et au Cameroun en particulier ?

Quant à la question concernant mon analyse sur la situation politico sociale en Afrique aujourd’hui et au Cameroun en particulier, vous êtes les mieux à même, parce que compagnon de notre combat  par votre profession de journaliste, et parmi les meilleurs que vous constituez, de rappeler ce que nous faisons constamment ensemble au double plan, camerounais et africain.

1) Pour le Cameroun, nous continuons l’œuvre de Moumié, de Um Nyobé, de Ouandié, de Ossende Afana, et de tous ceux qui sont morts pour la patrie aux côtés de notre vaillant peuple martyr.
Le CODE est devenu le meilleur reflet, pour ne pas dire, le fer de lance pour la victoire finale et le changement démocratique par la bonne gouvernance transparente alternante.

2) Pour l’Afrique, la situation en Afrique n’est guère différente de celle du Cameroun au plan des libertés fondamentales et du Droit des Peuples à disposer d’eux-mêmes que les gouvernements néocoloniaux corrompus incarnent. Aussi, comme l’avait dit MOUMIE : « Le Cameroun ne sera jamais libre tant qu’un seul pays d’Afrique est en souffrance par rapport à sa souveraineté » (Conférence panafricaine de Tunis – 1960).

Est-ce la raison pour laquelle vous pensez à un gouvernement camerounais en exil ?

Comme nous l’avons dit, c’est en allant proclamer le gouvernement en exil pour le changement au Cameroun et se présenter aux Nations Unies que le Président MOUMIE a trouvé la mort à Genève. La situation demeurant la même, comme nous l’avons dit plus haut, par rapport aux crimes et aux souffrances infligés à notre peuple par le système néocolonial sanguinaire corrompu, et comme nous continuons l’œuvre de MOUMIE, le gouvernement en exil ne peut toujours être que justifié par rapport à l’histoire du combat du peuple camerounais pour sa libération et sa dignité bafouées.

Il est donc impensable que des individus non avertis et à la limite inconscients nous associent aux atermoiements de l’alternance en 2011, et en cela je suis très d’accord avec le combattant Mboua Massock, premier lauréat du « Prix MOUMIE de la Liberté pour la Paix » quand il dit que notre combat ne s’inscrit pas dans le cadre de l’échéance de la Constitution de l’Etat sanguinaire de Paul BIYA comme certains le prétendent confusément et nous tenons à les mettre en garde pour que le peuple ne se trompe pas d’adversaires, car, tous ceux qui s’inscrivent dans le cadre de l’alternance constitutionnelle de l’Etat néocolonial sanguinaire de Paul BIYA sont purement et simplement les alliés de Paul BIYA sans le savoir et il serait temps qu’ils le sachent et le peuple jugera.

Certains observateurs avertis de la scène politique africaine  accusent leurs compatriotes de la diaspora de les abandonner dans une société africaine qui ne cesse de se redéfinir. Que peut faire par exemple l’élite camerounaise pour le Cameroun?

Par rapport à la question du lien de la diaspora camerounaise avec le peuple, l’élite camerounaise est là aussi un exemple d’héroïsme qui n’a jamais cessé d’être liée au peuple camerounais en lutte et à l’Afrique en guerre. Il en a été ainsi depuis les premières générations d’étudiants dans le cadre de l’U.N.E.K. et de la F.E.A.N.F. malgré les vicissitudes que l’histoire jugera.

Aussi, la Ligue Camerounaise des Droits de l’Homme fait partie des organisations qui ont, depuis 1998, interpellé l’Afrique à travers l’Ambassade de l’Afrique du Sud à Paris pour poser le problème des rapports et de la responsabilité des gouvernements africains face à leur diaspora (Mémoire d’Afrique : http://africa.smol.org/docs/cmdp/cmdp_04.pdf)

C’est ainsi que la diaspora, par rapport à notre combat permanent, a été constituée, sur le plan continental, en 6ème région d’Afrique qui va bientôt participer à toute l’œuvre de la reconstruction et du développement de notre continent et sur le plan national camerounais, et je vais terminer par là, le Collectif des Organisations démocratiques et Patriotiques de la Diaspora Camerounaise (CODE), a tenu récemment, avec film à l’appui, le Forum International de toute la diaspora camerounaise à Paris, et nous avions convié les compatriotes de l’intérieur et qui y ont parfaitement participé et donné l’élan à notre contribution qui, malheureusement, se heurte à la marginalisation que pratique le pouvoir sanguinaire de Yaoundé contre les camerounais de l’extérieur et qui constituent plus d’un tiers de la population nationale.

Dans tous les cas, il n’y a que le gouvernement en exil qui instaurera le vrai changement pour le salut national (voir les 16 thèses de la Ligue Camerounaise  des Droits de l’Homme pour la Reconstruction et la Renaissance nationales : Mémoire d’ Afrique http://africa.smol.org/docs/lcdh/lcdh_cpress157.pdf )

Interview réalisée à Genève par Hugues SEUMO